Lunch avec Coelho Mau (Mauvais lapin)
Entretien avec Carlos Conceiçao, réalisateur de Coelho Mau (Mauvais lapin)
Qui est finalement le « mauvais lapin » de l’histoire ?
Il est sur le point de connaître la défaite, le deuil, la solitude, et cela le met en colère. Il est également en train de devenir invisible – aux yeux de sa mère, qui se réfugie opiniâtrement dans sa bulle, où il n’aura pas sa place, et aux yeux de sa sœur car il doit laisser la place au gigolo qui va lui apporter ce qu’il ne peut pas lui donner. Ce sont là des ficelles mélodramatiques auxquelles les gens peuvent s’identifier, mais ce sont surtout les schémas politiques et culturels de notre époque qui touchent au cœur de notre société – la famille, en l’occurrence. Aborder ces thèmes est pour moi une démarche politique, surtout si je peux toucher les esprits en les déguisant en contes de fées.
Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer le thème de la punition ?
Franchement, je n’ai pas pensé au thème de la punition. Pour moi, le déclic du film vient d’une volonté de comprendre, dans la mesure du possible, ce qui subsiste de tendresse au cœur de la colère et comment évoluent les liens affectifs dans une situation extrême. Mais nous sommes ici dans un contexte très littéraire, proche du grand-guignol, et le romantisme s’appuie souvent sur les luttes de domination, de cruauté et de pouvoir.
On retrouve dans vos films Boa Noite Cinderella, et maintenant Coelho Mau, cette esthétique de conte de fées, à tendance sombre et fétichiste. Quelle a été votre source d’inspiration pour les jeux que jouent les personnages ? Qu’est-ce qui vous plaît en particulier dans cette esthétique ?
Je n’utilise jamais le mot « fétichiste ». Je pense que les gens portent des masques tous les jours et qu’ils sont naturellement attirés par certains objets, parfois jusqu’à l’obsession, sans que cela ait quoi que ce soit de glauque. La plupart des gens ont une relation avec leur iPhone ou leurs fringues bien plus forte que mes personnages avec les masques, les motos, les stars de la pop, le sang ou les médicaments. Dans Boa Noite Cinderella, l’escarpin ne prend jamais une place aussi importante que nos tablettes ou nos cartes de crédit aujourd’hui, mais elle les symbolise, en quelque sorte. Pour ce qui est du conte de fées, je dirais que je m’intéresse surtout au folklore. Il est passionnant d’apprendre qu’il existe des variantes de la légende de Cendrillon depuis 2000 ans, et qu’on en trouve les premières traces en Chine. Quant à l’esthétique, dans Boa Noite Cinderella, l’intention penchait plutôt vers le romantisme et dans Coelho Mau, vers la littérature japonaise.
Ce qui m’a inspiré les jeux des personnages, c’est qu’ils existent dans notre vie quotidienne… Mais pour satisfaire aux exigences symboliques du récit, il a fallu les exagérer et les simplifier à l’extrême dans le film.
Pensez-vous continuer dans cette mouvance pour les projets à venir ?
On la retrouve sans doute dans mon premier long métrage, qui est en phase de post-production, mais certainement pas répétée à l’identique. La non répétition est ce qu’il y a de plus difficile et de plus stimulant dans le métier de cinéaste.
Quelles ont été vos influences cinématographiques ?
À la base, les rêves et la nostalgie. Les souvenirs d’événements qui n’ont jamais eu lieu. Parfois, je puise dans la littérature pour la structure, dans la musique pour le rythme, et dans la peinture ou la photo si je ne sais pas comment expliquer au chef-op ce que je veux sur tel ou tel plan. Je ne suis que très peu influencé par les autres films, même si, bien sûr, en tant que cinéphile, je suis féru de cinéastes tels que Buñuel, Lang, Kurosawa ou Alan Clarke. Mais quand je travaille, je ne m’intéresse qu’à ce que j’ai sous la main : des acteurs, des lieux de tournage et des idées.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Bien au contraire. En fiction, le format court coûte moins cher mais il est plus difficile à écrire. Il faut constamment aller à l’essentiel, il y a peu de place pour la digression. La digression est parfois ce qu’il y a de plus beau dans la narration (ou dans le non-narratif, justement), mais quand on est sur du court métrage, elle ne peut être que néfaste, tant sur le fond que sur la forme.
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Ce sera la première fois que je viens à Clermont-Ferrand. Quand j’ai commencé mes études de cinéma, en 2002, je disais que je voulais faire uniquement du court métrage. Le festival de Clermont-Ferrand est vite devenu la référence, l’objectif ultime pour moi et pour beaucoup d’étudiants de ma promo. On imaginait l’avenir du cinéma et on pensait que le court métrage était le format idéal en prévision de l’ère du streaming. Ainsi, une grande fête du court métrage nous apparaissait comme la Mecque. Quinze ans plus tard, on est tous en train de bosser sur des longs métrages, mais quelque part, j’espère qu’en présentant mon film à Clermont-Ferrand, je retrouverai un peu de cet esprit qui nous animait.
Pour voir Coelho Mau, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.