Goûter avec Daniel
Entretien avec Claire van Beek, réalisatrice de Daniel
Quel est le message que vous vouliez faire passer en racontant l’histoire de Joan ?
Je voulais évoquer la puissance du désir, l’importance du toucher et la complexité de la sexualité féminine. Je voulais entrer dans la tête d’une jeune femme confrontée à la force du désir sexuel. Joan prend soudain conscience que sa sérénité et sa routine volent en éclats, laissant la place à ce qu’elle a voulu fuir : l’instinct, l’impulsion. Mais ce qui arrive à Joan peut être une métaphore qui s’applique à chacun d’entre nous : lorsque notre petite voix intérieure nous souffle « j’ai envie d’autre chose », prenons-nous le risque ou restons-nous dans la sécurité de ce que l’on connaît, même au détriment de ce que nous voulons vraiment ?
L’histoire de Joan est-elle inspirée d’une personne que vous connaissez ? Avez-vous fait des recherches ?
L’histoire s’inspire de ces toutes ces choses que l’on cache ou que l’on dénigre chez la femme, comme la colère par exemple. J’ai fait des recherches sur les lézards, et c’est ainsi que j’ai appris des choses sur les criquets. J’ai été ébahie de constater les liens entre les criquets, la religion et les thématiques de mon film. Le cycle de vie des criquets – l’adulte, l’œuf, la nymphe – évoque à Joan la trilogie du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Les criquets sont des animaux primitifs, bibliques, et Joan est presque jalouse de voir qu’ils peuvent changer de peau et devenir autre chose. En plus, ce sont des bestioles fascinantes d’un point de vue visuel et auditif ! J’en ai élevé dans mon abri de jardin pendant presque un an, et j’ai fini par vraiment bien les connaître.
Aviez-vous une raison particulière de choisir le nom de Daniel ?
C’était un choix particulièrement difficile. J’avais une liste de plus d’une centaine de noms, que j’ai essayés. Attention, spoiler – mais j’ai toujours su que le lézard allait s’appeler Daniel. J’adorais ce prénom si normal, si humble. Mais pourquoi en faire le titre du film ? Parce qu’il avait beaucoup de qualités : c’est l’anagramme de « denial » (déni), un des thèmes phare du film. C’est un nom biblique, qui signifie « Dieu est mon juge ». Que demander de plus ?! J’aimais aussi le fait que ce soit un prénom masculin, car cela donne au film son côté inattendu, dérangeant.
Parlez-nous du choix des animaux. Comment s’est passé le tournage avec eux ?
Chez moi, les criquets n’arrêtaient pas de manger, de s’échapper, de s’accoupler, souvent les trois en même temps. Ils étaient drôles, fascinants, terrifiants. Mais quand le tournage a débuté, ils se sont faits plus discrets, et il n’a pas été faciles d’en attraper en train de pondre dans la terre (ce qui est un spectacle aussi étrange que captivant !). Les lézards (nous en avions trois) adoraient la chaleur de la peau de notre actrice et s’endormaient souvent sur elle. J’adore les scènes avec les poules – leurs pattes et leurs griffes leur donnent un côté un peu lézard. Elles sont méchantes, curieuses. J’adore la nature, et les animaux comptent énormément dans la vie de Joan, dans son sens du toucher et de l’observation. Pour ce qui est du tournage… de la patience, du temps, de la minutie et de la souplesse, tels sont les quatre piliers du travail avec des animaux. Les gros plans très serrés ont été réalisés dans un deuxième temps.
Le film est presque entièrement muet. Pouvez-vous nous parler de ce choix ? Et de la musique du générique de fin ?
Je ne dirais pas muet, car nous avons une bande-son et une conception sonore qui ne sont pas mal du tout, à mon avis. Mais effectivement, ça ne parle pas beaucoup ! Joan est à la base un personnage solitaire, silencieux et timide, donc elle parlait déjà peu, mais on a encore élagué au montage. Joan est introvertie, elle communique à travers l’observation, la solitude, le toucher. Tout le parcours de Joan tient au talent d’Edith, notre fabuleuse actrice. En outre, le film est très visuel, et dans ce monde de silence, chaque mot est pesé, soigné. Pour ce qui est du générique de fin, c’est un morceau de notre compositrice, Indira Force. C’est une Néo-Zélandaise installée à Berlin qui a un grand talent. J’adore la musique de fin et je suis très fière chaque fois que je l’entends. Les percussions renvoient au primitif, les voix chantées évoquent la femme. C’est un morceau bouleversant. Le film étant très riche et la fin (encore un spoiler !) d’une certaine violence, il fallait une musique qui permette au spectateur de digérer tout ça. Le générique et la musique de fin sont là pour ça.
Quels sont les films qui vous ont inspirée ?
Oh, il y en a plein ! J’adore Michael Haneke, Jonathan Glazer, Pedro Almodóvar (pas pour ce film, je l’adore en général) et Jane Campion bien sûr ! J’ai la chance de travailler en ce moment avec Jane sur son superbe dernier film Le pouvoir du chien.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Absolument. J’adore les courts métrages. Ils donnent la liberté d’explorer à fond un thème ou une idée. On peut approfondir, s’attarder sur une idée, explorer, créer… Le court métrage est une forme artistique presque parfaite.
Pour voir Daniel, rendez-vous aux séances du programme I5 de la compétition internationale.