Goûter avec Der Sieg der Barmherzigkeit (La victoire de la charité)
Entretien avec Albert Meisl, réalisateur de Der Sieg der Barmherzigkeit (La victoire de la charité)
Qu’est-ce qui vous a inspiré ces deux personnages de musicologues ?
Depuis l’âge de quinze ans, je collectionne les vinyles. Au fil des années, dans les foires aux disques, les magasins d’occasion ou les marchés aux puces, j’ai rencontré de nombreuses personnes totalement accros à tel ou tel style de musique, de disques ou d’objets rares s’y rapportant. Un peu comme le costume de scène d’un groupe de pop viennoise des années soixante que M. Szabo cherche dans le film. Et il y a autre chose : parmi les gens qui, comme moi, ont étudié le cinéma, la plupart ont aussi étudié l’histoire de l’art. Mais ils préfèrent faire des films sur les artistes que sur les historiens de l’art. Alors je me suis dit que j’allais m’occuper de ces derniers.
Les Autrichiens s’intéressent-ils beaucoup à la musique ?
En général, oui, je pense. Ce n’est pas étonnant, car la musique classique fait partie intégrante de l’histoire et de l’identité autrichiennes. Mais ce n’est pas le style qui intéresse mon protagoniste. Lui, c’est la musique Beat et Mod des années soixante. À cette époque-là, l’Autriche était un peu en retard en matière de musique pop. Quand les alliés ont quitté le pays en 1955, ils ont emporté avec eux leurs influences musicales modernes. Ainsi, les groupes et les disques qui passionnent M. Szabo sont vraiment underground, peu représentatifs de leur époque. Et M. Szabo est un peu pareil.
Pourquoi avoir choisi de montrer un rapport de compétition ?
Les deux personnages incarnent deux systèmes, deux sortes d’historiens de l’art. M. Szabo est de la vieille école. Il a fait de longues études, il peine à finir sa thèse. M. Fitzthum est le petit nouveau, influencé par la société néo-libérale, qui touche aussi les universitaires. Il est du genre nerveux et très attaché à sa carrière, qui doit évoluer vite sans quoi elle n’aura pas lieu. Cela dit, c’est un garçon non seulement poli mais au grand cœur, il se laisse donc entraîner par Szabo, ses problèmes existentiels et son attitude désordonnée. Au fond, ils sont tous les deux musicologues et le respect mutuel l’emporte sur la compétition.
Comment avez-vous travaillé sur les dialogues et les sentiments qui se cachent derrière ?
À mes débuts, j’essayais de faire des films peu bavards. En école de cinéma, on vous apprend qu’il faut montrer et non pas raconter. Puis je me suis rendu compte que presque tous les gens de mon entourage parlaient tout le temps. Bien évidemment, ce n’est pas pour autant qu’ils parviennent à résoudre leurs problèmes. J’ai largement puisé dans mon entourage pour créer les personnages et les dialogues.
Sur les deux protagonistes, il y en a un qui est vraiment singulier et qui relance l’histoire en permanence. Comment avez-vous travaillé le personnage ?
Dans la vraie vie, j’ai souvent rencontré des gens, voisins, amis etc. qui, comme on dit en Autriche, vous demandent un doigt et prennent toute la main. C’est stressant, mais si l’on prend du recul, c’est parfois très drôle. Szabo est comme ça. D’autre part, Szabo n’est pas intégré à la société, il fait partie de ce qu’on appelle en Autriche le « précariat ». Ce sont des gens très instruits qui n’ont pas de boulot, ou alors un boulot sous-qualifié. La société nous dit que ces gens-là doivent faire profil bas car ils ne contribuent pas au produit national. Szabo habite dans un appartement insalubre mais il se comporte comme un roi. J’aime bien les gens comme lui.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Bien sûr. Nous avions un budget d’environ 1000 euros, attribué par notre école de cinéma, la Filmakademie Wien (l’Académie de musique et des arts du spectacle de Vienne) pour faire ce film. Et on avait toute la liberté du monde. Quand je dis nous, c’est moi et ma fabuleuse équipe. On fait nos études ensemble et on est amis en même temps. Faire un film avec une bande de potes, c’est l’idéal. J’imagine que c’est difficile d’en faire autant quand on fait son premier long métrage. Mais ça vaut le coup de se démener. En l’occurrence, on n’a pas eu à se démener, on a donc consacré toute notre énergie au film, à changer les choses qui risquaient de ne pas marcher, à parler de l’histoire, à partager une bière après une longue journée de tournage.
Pour voir Der Sieg der Barmherzigkeit, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I9.