Dernier verre avec Hydebank
Entretien avec Ross McClean, réalisateur de Hydebank
Comment avez-vous rencontré Ryan et qu’est-ce qui vous a poussé à raconter son histoire ?
La première fois que je suis allé à Hydebank, c’était à Noël, il y a quelques années, pour un match de foot (on a été battus par les prisonniers 22 à 3). J’ai remarqué un petit troupeau de moutons qui broutait à côté du terrain de foot, tous enfermés par les immenses barrières de barbelés qui entourent le complexe. Bien entendu, j’ai mené ma petite enquête et après moult courriers, coups de fil et visites complémentaires, on m’a présenté « le berger de Hydebank ». Lors de notre première rencontre, j’ai compris que la présence de ces moutons dans une prison était effectivement insolite. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’était Ryan lui-même et sa relation avec ces bêtes.
S’est-il prêté au jeu dès le départ ?
Je travaillais avec une troupe de théâtre de Belfast sur un autre projet autour de Hydebank. J’avais donc déjà tissé des liens avec le personnel et les prisonniers, dont Ryan, et un bon degré de confiance régnait entre nous. J’avais été clair dès le départ sur mes intentions et on était arrivés à bien se comprendre avant même que j’allume la caméra. L’anonymat des détenus est de règle dans les prisons britanniques. De plus, Ryan était déjà apparu dans la presse sous un mauvais jour, nous avons donc commencé le tournage avec l’intention de préserver cet anonymat. Lorsque j’ai commencé à visionner des prises avec lui, il m’a demandé pourquoi on ne voyait pas son visage, et j’ai compris qu’il ne voulait pas être caché. Après en avoir discuté avec les responsables de la prison, j’en ai conclu que c’était à Ryan de décider si on pourrait l’identifier ou pas. Comme il le disait lui-même, il voulait montrer que les prisonniers « ne passent pas la journée à rien glander ». Je crois qu’il voulait vraiment montrer le chemin qu’il avait parcouru depuis qu’il travaillait avec les moutons de Hydebank, et pour lui, ce film pouvait être l’occasion d’une sorte d’absolution.
Cette prison est-elle la seule à accueillir des moutons dans ses locaux ?
Les moutons ont été amenés à Hydebank il y a quelques années dans le cadre d’un programme de réinsertion par la zoothérapie pour les prisonniers. C’était le premier établissement du pays à accueillir ce type d’initiative, lancée par un membre du personnel qui possède une ferme en dehors de la prison. Pour lui, les animaux ont un potentiel thérapeutique qui peut avoir un effet positif sur les délinquants. Ryan, par exemple, un citadin qui n’avait jamais vu un mouton de près avant d’arriver à Hydebank, projette aujourd’hui d’avoir son propre élevage de moutons quand il sera libre. Voilà qui, à mon sens, confirme clairement l’efficacité de ce concept.
Pouvez-vous nous parler de vos choix en tant que documentariste ? Pourquoi avoir opté pour ce côté « pris sur le vif » plutôt qu’une approche plus interactive ?
Le terme « pris sur le vif » ne me convient pas lorsqu’on parle d’un documentaire. Pour moi, réaliser ce film a été un processus extrêmement interactif. Bien que je sois hors-champ, je suis bien là, je pose des questions, je compose les plans et parfois je mets en scène. Je me rends bien compte qu’au final, cela donne l’impression d’un documentaire d’observation, et c’est peut-être dû à l’attitude de Ryan dans le film. Je pense qu’il ne se sentait pas obligé de jouer un rôle devant la caméra, ce qui donne une idée très vraie de sa vie carcérale. On voit beaucoup d’émissions ou de reportages à sensation qui insistent lourdement sur le crime commis par chaque détenu. Quand j’ai vu le documentaire français Si bleu, si calme de Elaine de Latour, j’ai apprécié le fait qu’on montre l’expérience humaine en milieu carcéral, sans évoquer la raison pour laquelle chaque détenu est arrivé là. Nous avons décidé de ne pas s’étendre sur les détails du crime de Ryan, mais de se focaliser sur la personne qu’il est à ce moment précis de sa vie. Nous espérions ainsi éviter de détourner l’attention du spectateur avec la gratification immédiate d’un fait divers, et de lui permettre de réagir de façon plus complète, plus affective, au parcours de Ryan.
Que voulez-vous que le spectateur en retire ?
Les rencontres que nous avons faites à Hydebank ont ravivé certaines questions que l’on se posait avant de commencer le projet. Il est important de comprendre que l’attitude de notre société envers le châtiment et la rédemption a un impact sur les individus pris dans les rouages de la justice pénale. Pour les hommes jeunes, l’Irlande du Nord a le taux de récidive le plus élevé du Royaume-Uni. C’est bien la preuve que le système ne fonctionne pas. Cette méthode alternative de réinsertion est une façon de prendre le problème à bras le corps. À une époque où beaucoup de gouvernants britanniques tendent à vouloir boucler les personnes et jeter ensuite la clé, j’ai pensé qu’il était important de reconnaître cette façon originale d’aider les prisonniers à la reconversion. J’ai aussi voulu proposer au public de réfléchir sur ce que l’on entend par rédemption et empathie à travers l’histoire d’une personne à qui ces concepts ne sont pas destinés au premier abord.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Je pense que le format court permet une autre forme de conversation entre le cinéaste et le public. Ici, il nous a donné la liberté de choisir les faits qu’on souhaitait révéler. Nous avons décidé de ne pas donner de réponses toutes faites. Dans ce temps limité, il nous a semblé plus pertinent de montrer à quoi ressemblait la vie d’un détenu en particulier dans cet endroit surprenant qu’est Hydebank.
Pour voir Hydebank, rendez-vous aux séances du programme I3 de la compétition internationale.