Dîner avec Des fleurs
Entretien avec Baptiste Petit-Gats, réalisateur de Des fleurs
Pouvez-vous nous parler du déroulement de la réalisation du film, de l’écriture à la post production ?
Des fleurs étant mon premier film, le processus d’écriture a été relativement long et empirique. J’ai d’abord travaillé seul sur les personnages de la mère et du fils en écrivant des dizaines de séquences de vie : le fils de son côté avec ses amis, sa copine, la mère aussi chez elle puis eux deux réunis. À ce stade, je n’avais pas réellement d’histoire mais je commençais à entrevoir mes personnages. Je voulais parler d’un personnage qui n’arrive pas à se dégager d’un malheur, d’un souvenir douloureux mais je cherchais à traduire cet état à travers des éléments simples et concrets. J’ai donc décidé de ramasser le plus possible la temporalité et l’idée de la Toussaint est venue naturellement. J’ai ensuite collaboré avec Cyril Legrais, qui est scénariste, et ensemble nous avons construit l’évolution de cet après-midi entre mère et fils. En ce qui concerne la réalisation, cela a été plus rapide. Il y a eu un peu moins d’un an entre le début des financements et le tournage. La grosse part de la préparation a été le casting de Sacha, le fils. Avec Marlène Serour, la directrice de casting, nous avons dû voir environ 60 adolescents et finalement Victor Rivière s’est révélé en casting sauvage. Le tournage s’est déroulé à Reims mi-décembre 2017. La principale difficulté était le manque de lumière naturelle, car le soleil commence à baisser très tôt dans la journée à cette époque. C’était donc constamment la course à la lumière, ce qui, avec du recul, me semble bien aller avec la course de Bérénice dans le film. Nous étions dans une même urgence ! En ce qui concerne le montage, étant monteur moi-même je me suis interrogé sur le fait de le faire moi-même ou pas. Puis j’ai rencontré des monteurs et des monteuses et j’ai décidé de travailler avec Louise Decelle. Son regard et son recul face aux images ont été plus que bénéfique au film.
Le film traite des rapports mère-fils et de l’adolescence, mais aussi du thème du deuil, qui lui est davantage suggéré qu’abordé explicitement. On sent de votre part une volonté de laisser au spectateur le soin de deviner certains aspects de l’histoire ?
C’était important pour moi de raconter cette histoire à travers des éléments très simples et concrets qui mettent en lumière un hors-champ plus complexe et profond. En effet, la mère et le fils communiquent mal, les mots sont lancés un peu au hasard, les gestes sont maladroits. La nature de leur relation ne se représente donc pas à travers ce qu’ils font ou disent aujourd’hui mais à travers le non-dit et ce que représente cette journée de la Toussaint pour eux et dont ils ne parlent pas. Il s’agissait d’explorer ce qui n’était pas montré mais qui, pourtant, était de tous les plans. Ensuite, j’aime beaucoup en tant que spectateur être propulsé dans une situation dont j’ignore tout et comprendre peu à peu les enjeux. C’est une position que j’aime avoir devant un film donc je pense l’avoir reproduite naturellement. Aussi, le thème du deuil n’est pas central selon moi. Je voulais d’abord faire un film sur un personnage qui est tétanisé dans sa douleur et n’arrive pas à s’en dégager.
La bande-son créé une tension et instaure un crescendo dans l’angoisse. Est-ce un moyen de mettre en scène, indirectement, toutes les tensions et les non-dits entre la mère et son fils ?
Tout le film est construit autour de l’idée de focalisation. On suit Bérénice de près, on ne la lâche pas. On est autant obstinés qu’elle dans sa quête de la bonne fleur pour la tombe. La musique me permettait de traduire quelque chose de Bérénice au-delà des actes ou des mots maladroits. Il s’agissait de donner à voir (ou à entendre) son bouillonnement intérieur, sa tension, mais aussi d’atteindre une forme de fragilité. Le travail avec Romain Trouillet (le compositeur) s’est beaucoup fait autour de la question des couches qui s’ajoutent, se superposent et se transforment. Partir d’une voix seule, rythmique, entêtante et froide pour arriver à l’émotion de toutes ces voix qui s’emmêlent et se démêlent. D’autre part, je tenais à ce que le niveau de la musique soit aussi fort que les dialogues et les ambiances, comme si ces voix intérieures débordaient sur le monde autour d’elle. Son intériorité agitée aveugle en partie Bérénice, l’empêchant de voir ce qui l’entoure, y compris son fils.
Quel est selon vous le rôle du cinéma, ou de l’art en général, dans le processus de deuil ?
C’est une question complexe mais j’imagine que l’art permet de sublimer. Que ce soit dans le processus du deuil ou dans un tout autre traumatisme ou angoisse existentielle. L’art nous permet de parler de nous sans parler de nous, c’est aussi tout l’intérêt.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
S’agissant d’un premier film, la première des libertés que m’a permis le court métrage est de pouvoir faire un film, entouré d’une équipe de professionnels, avec un budget confortable… alors que je n’avais presque rien fait avant ! Ensuite, j’ai l’impression que le court métrage permet davantage de travailler un geste, même s’il est radical. La courte durée permet plus facilement au film de devenir un laboratoire. Par exemple, dans Des fleurs, j’ai voulu travailler quasiment uniquement autour de gros plans. Il n’y a que deux plans larges. Je ne sais pas si cela aurait été possible dans un long métrage, cela aurait peut-être été trop volontaire et lourd, comme une forme de réflexe esthétique lassant.
Pour voir Des fleurs, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.