Goûter avec Des résidus analytiques.
Interview de Jon Boutin, réalisateur de Des résidus analytiques.
Comment vous est venue l’inspiration pour ce film ?
J’ai l’habitude de dessiner dans des carnets, surtout des zap books avec du papier de peu de valeur. Sans doute mon obsession de garder une trace de chaque idée, de ne rien jeter. J’adore les carnets de dessins. Plus des ¾ du film viennent directement de mon gros zap book jaune. Et je voulais retrouver la sensation de feuilleter un carnet à dessin avec ses histoires qui se mêlent, ses personnages que l’on retrouve au fil des pages, qui évoluent, ou que l’on perd à jamais, dont la vie se résume à une phrase, un seul dessin.
Qu’est-ce qui vous intéressait particulièrement dans le rapport à la nourriture intellectuelle que sont les sciences et les questionnements métaphysiques ?
C’est justement ce point de convergence qui m’intéresse énormément. Je me souviens de ces cours de spé-maths où on devait démontrer que tel (a) était un nombre pair, puis que ce même (a) n’existait pas. Ou démontrer qu’il existe une infinité de nombres premiers. J’avais l’impression que ça touchait à la philosophie, à une sorte de matière qui dépassait les sciences, surpassait toutes les autres. Peut-être la métaphysique justement. Un univers à la fois glacial, très abstrait, cérébral, mais qui touche aux questions essentielles et très humaines comme l’existence, l’infini, etc.
Les voix semblent composées d’éléments technologiques particuliers, dont des voix programmées, comment les avez-vous travaillées ?
J’ai d’abord fait des essais avec des voix humaines. Je n’arrivais pas à trouver le ton juste, ça ne collait pas vraiment avec le film. Je me suis alors tourné vers des voix artificielles. Cette neutralité algorithmique, l’absence de ton convenait parfaitement à l’image. Ça créait le décalage idéal. Le plus dur a été de dire à Théophile que je le remplaçais par un programme informatique bas de gamme. J’ai cherché des programmes gratuits, ceux des cartes de vœux virtuelles, où l’on entend bien le côté absurde des intonations numériques. J’ai dû tout écrire phonétiquement car ces programmes-là ne sont pas vraiment au point sur tous les mots. J’ai enregistré trois acteurs virtuels différents et j’ai ensuite pris ma version préférée de chaque bout de phrase.
Dans Des résidus analytiques., vouliez-vous montrer la « connaissance » davantage comme une charge que comme une chance ?
Le fantasme de la connaissance absolue est quelque chose qui me fascine depuis longtemps. J’aime bien l’imaginer comme une énorme charge. Quelque chose d’effrayant, de paralysant. J’ai cette idée de découverte d’un truc vraiment inattendu, inconcevable. C’est pour ça qu’on ne voit pas dans le film ce que voient les scientifiques. À l’inverse, les touristes qui suivent le “gouide” ou l’”homme ptolémaïque” sont les plus heureux du dessin animé dans leur ignorance. Il ne faudrait surtout pas dire à ce dernier à quel point il est contingent dans l’univers.
Comment avez-vous travaillé l’animation pour ce film ? Y a-t-il une part décisionnelle liée au sujet abordé et une volonté de recréer les séquences de « vulgarisation » de sciences ?
Je n’aime pas beaucoup les émissions de vulgarisation, je crois que je préfère suivre une conférence scientifique et n’en comprendre qu’un dixième. J’ai cette attirance pour ce qui paraît compliqué, pour l’incompréhension. D’où l’envie d’une séquence qui “explique”, mêlée à de l’absurde. Je trouve ça drôle. La question sur l’horizon d’un plan infini est une question que je me pose vraiment et je n’ai toujours pas trouvé de réponse. Peut-être que grâce au film quelqu’un me répondra…
La science s’intègre à notre quotidien au fur et à mesure des « découvertes », mais que pensez-vous qu’il reste de ce savoir dans la mémoire commune ?
J’imagine quelque chose d’assez flou : “Mais non, Pluton c’est plus une planète !” ou “Mais en fait tout ça c’est que du vide, y a rien… c’est juste des électrons qui tournent super vite…” Des résidus analytiques, en somme !
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Ma Loute de Bruno Dumont, j’ai beaucoup ri. Un film complètement absurde avec un gros homme-ballon qui s’envole à la fin ! Et puis Ma vie de courgette. J’étais avec des copains dans la salle, on ne bronchait pas de tout le générique, et puis quand il a fallu quitter la salle, on s’est regardé en silence, les yeux brillants et on s’est dit : « Bon, on attend un peu et après on se parle… » Longtemps après l’avoir vu j’avais les larmes aux yeux rien qu’en l’évoquant. Un film magnifique !
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Il y a chaque année une séance en piscine (que je n’ai jamais eu l’occasion de faire). L’année dernière, des bonnets de bain étaient distribués dans les sacs du festival. On les a mis sur la tête juste avant une séance avec un ami. Les lumières s’éteignent. La projection commence. Je n’aurai jamais imaginé qu’un simple bout de plastique sur la tête puisse changer à ce point la perception des films. Je le ferais volontiers plus souvent. On a dû l’enlever avant la fin car ça tient très chaud hors de l’eau.
Pour voir Des résidus analytiques, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.