Lunch avec Dibbuk
Interview de Dayan David Oualid, réalisateur de Dibbuk
Y a-t-il une part de concepts réels dans Dibbuk ou est-ce totalement imaginaire ?
Tout le rituel d’exorcisme est véritable. Je n’ai rien inventé. J’ai étudié le sujet pendant plusieurs mois et essayé de coller le plus possible au rituel tel qu’il est décrit dans les différents ouvrages et témoignages que j’ai pu lire et recueillir. J’avais une volonté presque documentaire concernant la reconstitution de ce rituel. Évidemment, la figure du démon est une figure fantasmée, mais très présente dans l’imaginaire juif contemporain.
Votre personnage utilise Internet pour ses recherches, dans le cas particulier de l’exorcisme, pourquoi vouliez-vous que les informations soient en ligne plutôt que d’être conservées exclusivement dans des synagogues et bibliothèques spécialisées ? Êtes-vous vous-même enclin à réaliser des recherches sur Internet ?
J’ai souvent parlé du film à mon équipe comme d’un vieux grimoire dans une bibliothèque toute neuve, ou d’un scan d’une gravure ancestrale. Tout comme le fait de faire émerger le fantastique dans un univers tendant vers la réalité, réussir à mêler des pratiques anciennes à un contexte moderne était l’un de mes principaux enjeux lors de l’écriture. J’ai voulu, malgré la marginalité de ce personnage, l’inscrire dans un univers contemporain où les vieux grimoires peuvent côtoyer les forums obscurs. Il utilise les réseaux, mais de façon singulière, pour aller chercher ce dont il a besoin, là où peu de gens se rendraient mais où il sait qu’il trouvera des réponses. L’écho entre mes propres recherches sur le sujet et celles du personnage de Dan est délibéré. Au-delà de la démarche très délicate d’accès aux anciens ouvrages que j’avais rapidement initiée, il m’était nécessaire de coupler les informations obtenues à celles provenant de nouvelles sources. Je me suis retrouvé plus d’une fois à échanger sur des forums spécialisés ou à fouiller des sites archivant de la documentation inaccessible par ailleurs ou tout simplement disparue. J’ai ainsi pu retrouver des gravures et des textes sur le sujet que je n’aurai jamais pu consulter autrement. De plus, l’exorcisme est un sujet encore extrêmement tabou aujourd’hui au sein de la communauté juive. Lors de mes recherches, il m’est ainsi arrivé de me retrouver confronté à des hommes pieux ou des rabbins qui rejetaient tout échange avec moi. Certains allaient même jusqu’à cracher au sol lorsque j’abordais le sujet, afin de repousser le mauvais œil. Internet était donc aussi un moyen simple pour certains de mes interlocuteurs de conserver leur anonymat pour échanger avec moi.
À quel point êtes-vous intéressé par la question religieuse et envisagez-vous de réaliser d’autres films à ce sujet ?
La question de la foi me fascine plus que la question religieuse à proprement parler. Je porte également beaucoup d’intérêt à l’ésotérisme et à la mystique en général, même si la mystique juive, de part mon identité et l’éducation que j’ai reçue, me fascine davantage. J’ai en tête plusieurs projets pour la suite, se prêtant à des formats divers, certains déjà en cours d’écriture. Toutefois, même si je pense aborder parfois des sujets par le biais de la communauté juive, mes envies sont variées et vont de la science-fiction à la comédie sociale en passant par le drame militaire.
À quel point êtes-vous intéressé dans Dibbuk par la question de la responsabilité et du poids de celle-ci ?
Il y a une lecture plus conceptuelle qui peut être perçue dans Dibbuk et qui transcrit d’une certaine manière ce qu’est la création d’un film dans un contexte que je qualifierai de « Guerilla film-making », c’est à dire avec peu ou pas de sous et en un temps record. Depuis maintenant cinq ans, je produis avec l’Association des Jeunes Cinéastes Indépendants, de nombreux projets audiovisuels, dont un certain nombre de premiers courts métrages. De mon expérience, faire un film revient d’une certaine manière à exorciser un réalisateur d’une vision, l’accompagner d’une équipe compétente, lui donner les outils nécessaires, pour finalement parvenir à capturer cette vision et la mettre en boîte. Au bout du compte, le producteur a la responsabilité de tous ces films, le poids également de parvenir à soulager les réalisateurs de toutes ces idées qui les hantent parfois et dont ils peinent à se débarrasser seul. Lorsque l’on s’intéresse à la kabbale, celle-ci explique que celui qui possède une boite à Dibbuk sera sujet à la folie. À mon sens, le producteur l’est donc forcément un peu aussi.
Comment avez-vous travaillé sur le rythme des séquences et la composition musicale ?
Pour Dibbuk, on peut dire que j’ai composé les séquences au rythme de la musique. J’ai écrit le scénario en écoutant des morceaux du clarinettiste YOM (Guillaume Humery) dont je suis devenu un vrai fan. Après l’avoir vu en concert, je l’ai contacté via les réseaux sociaux et il a très gentiment accepté de nous donner les droits nécessaires à l’utilisation de sa musique. J’avais donc, dès le découpage, une idée précise du rythme à donner à chaque séquence. Il s’agissait d’une première collaboration et ce fut un véritable coup de foudre. Nous travaillons actuellement ensemble sur un prochain projet, pour lequel il composera cette fois-ci une musique originale.
Le personnage féminin du film a les cheveux voilés. Aujourd’hui de nombreuses polémiques s’attachent à ce vêtement, pourquoi avez-vous fait ce choix pour votre héroïne ?
J’avais une volonté forte d’aborder ce film et ces personnages avec une approche tendant vers le documentaire. Sarah et Eli appartiennent tous les deux à une communauté orthodoxe ancrée dans le 19e arrondissement de Paris, il fallait donc que leur représentation soit fidèle à une certaine réalité. Les femmes juives religieuses et mariées portent souvent une perruque qu’elles peuvent toutefois être amenées à remplacer par un foulard au sein du foyer, car moins contraignant à mettre.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
En tant que producteur surtout ! Le film ayant été produit de façon totalement indépendante, un format long n’aurait par exemple pas été envisageable. Dibbuk a ainsi pu être produit dans des délais relativement courts par rapport à son format, en réunissant des techniciens de grande qualité sur une période raisonnable. Le court-métrage permettait également une plus grande facilité de distribution par la suite, la possibilité de faire vivre le film en festival afin qu’il rencontre son public. En tant que réalisateur, les délais de fabrication du film m’ont aussi permis de l’aborder comme un geste artistique, quelque chose de brut et cohérent, auquel j’ai pu me tenir lors de l’ensemble du processus de création. J’ai d’abord eu tendance à trouver le format court contraignant pour développer mon récit, y intégrer l’ensemble des sujets que je souhaitais aborder. J’ai ainsi dû laisser de côté certains aspects de la narration et de l’univers dépeint et ne traiter qu’en surface certaines thématiques que j’aurai aimé développer plus amplement. Pour autant, je suis conscient que c’est également cela qui apporte une véritable efficacité au propos. Cela m’a poussé à me concentrer sur le point de vue d’un seul personnage, à coller de bout en bout à sa vision et son ressenti par lesquels on appréhende peu à peu tout le reste, ce qui a finalement grandement renforcer le film à mon sens. Je pense que le format permet également d’ouvrir une porte d’entrée plus accessible au spectateur, vers un univers particulier vers lequel il pourrait être réticent à se diriger; une sorte de nouvelle fantastique qu’on découvrirait avant de se plonger dans un roman.
Quelles sont vos oeuvres de référence ?
Dès l’écriture, je savais que je voulais adopter un langage cinématographique fluide, classique. Ma volonté d’inscrire le film dans un univers réaliste m’a poussé à présenter les éléments fantastiques du film de la plus simple des manières. Dans le film Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat (1987), l’idée que le divin ne se manifeste pas directement à l’image mais plutôt par des coupes au montage me parlait beaucoup. C’est notamment avec cette idée en tête que j’ai abordé mon découpage, en essayant de m’éloigner le plus possible du sensationnel et de coller davantage aux sentiments des personnages. Évidemment, en sachant que je m’attaquais à un genre très spécifique et déjà beaucoup exploité, j’avais pour référence énormément de films traitants d’exorcisme et d’occulte, du classique de William Friedkin, L’exorciste (1973) jusqu’à A Dark Song de Liam Gavin (2015) en passant par Le rite de Mikael Hafström (2011) sans oublier l’inévitable Der Dybbuk de Michal Waszynski (1937). Pour la construction du personnage et de l’univers ésotérique l’entourant, j’étais principalement inspiré par Angel Heart d’Alan Parker (1987), La neuvième porte de Roman Polanski (1999), et Constantine de Francis Lawrence (2005). Le film The Witch de Robert Eggers (2015) a lui été très important dans les échanges que j’ai pu avoir avec mon équipe technique en vue de déterminer l’aspect visuel et la présence sonore du démon dans Dibbuk. J’avais aussi en tête des films comme Deux jours, une nuit des frères Dardenne (2014) pour la mise en scène de la marginalisation et de la solitude, ou encore Ricky de François Ozon (2009) pour son traitement du fantastique dans un cadre social contemporain.
Pour voir Dibbuk, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.