Dîner avec Blaké
Interview de Vincent Fontano, réalisateur de Blaké
Comment est née l’envie de réaliser ce film sur deux vigiles qui refont le monde, dans le sous-sol d’un parking souterrain ?
Ce film est né d’une expérience personnelle, celle de mon expérience de veilleur de nuit à la Réunion pendant mes années de fac. Contrairement aux deux vigiles du film, moi j’étais videur dans une boîte de nuit. C’est là que j’ai rencontré la solitude, les nuits sans fin, les discussions inutiles que l’on tient juste pour se tenir éveillé. C’est là que j’aie appris à vivre dans le sommeil des autres ou loin de leurs fêtes. C’est là que j’ai appris l’assignation du corps et que j’ai compris ce que mon corps racontait malgré moi. C’est dans ces nuits que j’ai compris qu’il fallait trouver des stratégies pour garder les yeux ouverts. Dans cette nuit, pour la première fois j’ai ressenti la pesanteur de mon île, celle de mon enfermement propre, mais heureusement les rêves étaient toujours là.
Les deux personnages de Blaké parlent du rêve, du fantasme, dans un univers de béton, à sein duquel ils sont confinés. La noirceur du film, l’impression de claustration que fait naître le dispositif lui donne une force remarquable. Quelle émotion vouliez-vous faire naître chez le spectateur ?
Les sentiments que vous décrivez sont exactement les sentiments qui m’ont percuté pendant que je travaillais en tant que videur de nuit, ceux contre lesquels je suis entrée en lutte, tard dans les nuits réunionnaises. Mon envie initiale était de partager un bout de ces nuits avec le spectateur, de l’inviter dans cette étrange balade nocturne où l’on n’est pas vraiment sûr que le corps soit vraiment en mouvement. J’avais envie de traduire mon insularité, mon sentiment de solitude et d’enfermement. J’avais envie de parler de ce désir qui porte et neutralise. J’avais envie de parler d’amour et de rêves que l’on dit souvent impossibles.
Vous venez du théâtre, ce qui se ressent dans la construction du film, qu’il s’agisse de la place des acteurs, du travail sur le cadre et sur les dialogues. Que vous a apporté cette expérience de cinéma ?
J’aime l’idée que le théâtre c’est l’écriture d’un corps dans l’espace. Le cinéma m’autorise une nouvelle forme d’écriture, un nouveau champ des possibles. C’est une nouvelle espérance aussi. J’écris en créole, dans une langue qui s’éteint, sa pensée avec elle. Le cinéma je l’espère, me permets d’inscrire cette langue et les corps qui la portent dans le temps. Le cinéma m’apporte un nouvel espace où je peux apprendre et expérimenter. Le cinéma réunionnais est encore à naître, mais il m’offre des espaces de doute, de recherche et de liberté qui ne se refusent pas.
Quelles sont vos œuvres de références ?
Pour le cinéma il m’a fallu des autorisations, passer du théâtre au cinéma n’est pas une chose évidente surtout quand on veut s’appuyer sur le langage. J’ai donc cherché des œuvres qui avaient fait ce chemin avant moi, des œuvres qui pour moi sonnent comme des autorisations. Je pense aux films suivants : Le septième sceau de Bergman, Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, Hara-kiri de Masaki Kobayashi, L’enfer de Clouzot, In the Mood for Love de Wong Kar-waïainsi que l’œuvre de Bernard Marie Koltes.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté ?
Le format court m’a apporté une forme de rigueur dans l’écriture, presque l’obligation à tenir son idée, son ambition et ne pas en débordé, ne pas se laisser aller à la digression. Ce que m’a aussi apporté le format court c’est une certaine liberté dans l’expérimentation. Pour moi, le format court est vraiment un espace de recherche de laboratoire.
Pour voir Blaké, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F10.