Dîner avec Fuck l’amour
Entretien avec François Zabaleta, réalisateur de Fuck l’amour
Dans Fuck l’amour, vous questionnez la déception et l’incompréhension dans une relation parent-enfant. Pourquoi étiez-vous intéressé par le fait de montrer cet échec ?
Le point de départ du film a été ma rencontre avec un garçon qui me parlait de sa relation avec ses parents. Son frère et lui souffraient de l’indifférence de leurs parents qui passaient tout leur temps l’un avec l’autre en limitant leurs échanges avec leurs enfants au strict minimum. Ce garçon me disait : « Quand ils partent en vacances ils nous demandent de ne surtout jamais les appeler, de leur foutre la paix. ». Cette histoire m’avait énormément frappé et le temps faisant son œuvre, ce point de départ a fini par devenir une fiction.
Quelle est la part d’images « réelles » dans Fuck l’amour ? Le tag montré dans le métro est-il une image réelle ?
Le tag est réel. Mais aucune image n’est vraie. J’ai recréé du Super 8, chose que je me proposais de faire depuis longtemps. J’étais fasciné par le pouvoir de ces images. Les gens de ma génération ont leur imaginaire d’enfance et d’adolescence tapissé par ces images. Nos souvenirs sont indissociables de ce format. Chris Marker d’ailleurs en avait tiré un parti remarquable, fascinant dans son film L’ambassade. Et j’ai tellement été bouleversé par ces images que j’ai tourné dans la foulée un long métrage : Les démons meurent à l’aube, dont plus du tiers du film est tourné en Super 8.
Dans Fuck l’amour, vous questionnez l’un des aspects qui permet de voir l’Amour comme source de Mort mais vous ne donnez jamais à voir l’Amour comme source de Vie. Pourquoi ce choix ?
Vous avez raison. Dans la vie oui, pour moi l’amour est une source de vie. Mais pour mon moi, créateur, comme disait Proust, c’est le contraire. L’amour est impossible à vivre. L’amour n’est que l’expression d’un désir de mort prématurée. Thanatos est plus puissant qu’Eros dans mon travail. Mon premier long métrage La vie intermédiaire (sélectionné à Cannes en 2009 par l’ACID) racontait une histoire d’amour se terminant aussi par un suicide. Cela dit, je ne sais pas pourquoi beaucoup de mes films sont imprégnés par cette conception… sans doute un vieux reste de mon amour inconsidéré pour les écrivains romantiques allemands du XIXe siècle.
Êtes-vous intéressé par la thématique des relations parent-enfant et pensez-vous réaliser d’autres films autour de cette question ?
J’ai déjà réalisé deux longs métrages qui tournent autour de cette thématique : La dernière fois (sélectionné par le festival Chéries chéris en 2011) et N’importe où hors du monde (sélectionné par le festival Chéries chéris en 2012). Le premier traite en partie de l’anorexie mentale chez les garçons, je raconte ce que c’est pour un garçon de ne pas pouvoir s’alimenter (mes deux parents étaient anorexiques, mon père en est mort ; adolescent, par désir d’identification, je l’étais moi aussi) et le deuxième film raconte un abus sexuel vu à hauteur d’enfant. Vous voyez, cette question me hante et continuera de me hanter longtemps…
Avez-vous travaillé avec des psychothérapeutes sur la question de la reproduction du schéma parental pour réaliser Fuck l’Amour ?
Non. Il m’arrive avant d’écrire une histoire de demander des précisions à certains professionnels. Mais la création a ses lois propres. La fiction n’est en aucune façon l’illustration d’une théorie. Le ressort fictionnel a sa logique propre, c’est elle qu’il faut suivre.
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Dans Fuck l’amour, les frère et sœur reconnaissent l’échec relationnel qu’ils ont vécu. Pourquoi n’avez-vous pas envisagé de leur faire refuser cette réalité ?
Je ne me suis pas posé la question. Je voulais faire d’eux des gens meurtris mais structurés, ils ont cru qu’il y avait résilience, mais la découverte de ces vieux films fait imploser leurs illusions. On se construit une personnalité après une tragédie, on croit qu’on a dépassé tout ça, et puis on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Il suffit qu’un grain de sable pour enrayer le beau mécanisme de la résilience. Bien sûr ce n’est pas une généralité. Mais il me paraissait plus fort que ces personnages soient plus adultes que leurs parents, et qu’ils se rendent comptent qu’ils n’ont en réalité jamais guéri de leur enfance.
Pour réaliser Fuck l’amour, vous êtes-vous intéressé aux frontières entre enfant et adulte et au parcours de l’enfant ?
Mes parents ont divorcé avant ma naissance, et je n’ai vu que très peu mon père, il ne m’aimait pas vraiment, il ne voulait pas me voir, ma présence le gênait. Comme je vous l’ai dit plus haut, j’ai eu une enfance difficile. Enfant, je n’imaginais pas atteindre l’âge adulte. Je ne le souhaitais pas non plus. C’est la création qui m’a sauvé la vie (celle des autres d’abord). J’ai dit la chose suivante dans l’un de mes films sur l’enfance : « On dit souvent qu’on ne quitte pas son enfance parce qu’elle est au fond de nous. Je crois en effet qu’on ne quitte pas son enfance mais pas parce qu’on l’a en soi. Je ne vois pas mon enfance comme étant cachée quelque part au fond de moi. Mon enfance, elle n’est pas en moi, elle est à côté… Quand je pense à elle, j’ai cette image présente à l’esprit. L’image d’un petit garçon de huit ans qui marche à côté de moi. Il me colle aux basques. Parfois il me tient la main. Parfois il s’accroche à mon vêtement quand je le repousse… quand je ne veux plus de lui… quand je ne le supporte plus… quand je le maltraite… quand je lui donne des coups de pied pour qu’il s’éloigne… pour qu’il aille voir ailleurs si j’y suis… Mais il ne proteste pas… il encaisse les coups sans broncher… Et il s’accroche… il ne me lâche pas d’une semelle. Puisqu’on ne peut pas se séparer… puisqu’entre nous c’est à la vie à la mort… autant vivre en bonne intelligence… cohabiter dans l’harmonie… apprendre à se connaître… à s’apprécier… Lui demander comment il s’appelle. Quelle est son histoire. Lui demander aussi ce qu’il veut que je fasse de lui. Il ne parle jamais… il se contente d’être là… d’aller là où je vais… Les autres, eux, ne le voient pas… Il est comme un petit fantôme… Mon petit fantôme personnel… On en a chacun un… lui c’est le mien… On forme un drôle de couple… Un couple au long cours… Je sais que jamais je ne me débarrasserai de lui… il est ma fatalité… mon chemin de croix… Je ne suis pas contre. C’est juste que parfois j’ai du mal à vivre avec… C’est juste que parfois ma fatalité, j’aimerais bien l’oublier… Ce petit garçon de huit ans j’aimerais bien le voir prendre le large… mais non… c’est peine perdue… il est là et bien là… il est là pour toujours… »
Peut-on considérer les enfants, ou les parents, de Fuck l’Amour comme des déserteurs ?
Oui, sans doute. Mais là encore, je vais vous citer Gilles Deleuze dont j’ai suivi les cours adolescent :
« La grande erreur, la seule erreur, serait de croire qu’une ligne de fuite consiste à fuir la vie ; la fuite dans l’imaginaire, ou dans l’art. Mais fuir au contraire, c’est produire du réel, créer de la vie, trouver une arme. » (Dialogues, éditions Flammarion, 1977)
Nous sommes tous des déserteurs, mais c’est ce qui nous sauve la vie. En tous cas pour les artistes. On regarde les choses en face à notre manière en les transformant en matériau artistique.
Pensez-vous que la fuite soit une solution préférable à la revendication, au conflit ?
Oui. Mais je n’aurais pas dit ça à trente ans. C’est sans doute mes longues années de pratique du Zen qui me font penser que le conflit est une source de souffrance dont il est préférable de se dispenser. Mieux vaut fuir ou alors affronter une situation en acceptant (sans répondre) que l’autre puisse vous causer du tort.
Dans Fuck l’amour, les parents ne se donnent droit qu’à un seul amour, les enfants à aucun. Pourquoi n’avoir pas ouvert d’autres voies, avec d’autres personnages ?
Parce que c’est le défi du court métrage. Le court est un poème, un haïku. Il faut créer une intensité dramatique avec le moins de minutes possible. Il faut qu’il y ait un sentiment inachevé chez le spectateur, de frustration, il en voudrait plus…. Vous savez, le format du court métrage m’impressionnait tellement que j’ai fait quatre ou cinq longs métrages avant d’oser me risquer à une forme aussi concise et parfaite. C’est un genre que je respecte trop pour penser que c’est juste un format qu’on utilise en attendant de réaliser un long métrage, pour faire ses preuves. Pour moi c’est une forme aboutie, et non un galop d’essai. Et je regrette que beaucoup de cinéastes de longs métrages aient abandonné le court métrage. Dieu merci pas tous (Agnès Varda, Chris Marker, Godard, Apichatpong Weerasethakul…).
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Pensez-vous que l’Amour puisse laisser des espaces de liberté, de vécus sans l’Autre ?
En Occident, quand on parle d’amour, on parle d’amour sentimental. Mais il y a tellement de formes d’amour : l’amour des autres, l’amour de la nature, l’amour des enfants, l’amour de dieu… Des formes moins restrictives, moins étouffantes que l’amour sentimental. Mais je suis un artiste, un raconteur d’histoires, j’invente des nœuds dramatiques où l’amour souvent est associé à de la douleur, à de l’impossibilité. Je n’ai pas une relation paisible avec l’amour sentimental, c’est sans doute pour ça dans mes films que j’aime à l’infini en explorer les ressorts les plus intimes, les plus inavouables.
Selon les parents, « Le bonheur est une grâce qui ne dure pas. ». Est-ce que le malheur est une disgrâce qui dure ?
Non. Parfois, bien sûr, il y a des névrosés qui sont tellement épris de leurs névroses qu’ils ne pourraient pas vivre sans. Mais je crois qu’on peut guérir de tout. Il faut juste s’en donner les moyens, frapper aux bonnes portes… cela dit je crois que lorsqu’on a fait le tour du malheur et qu’on veut changer, en sortir, une porte s’ouvre toute seule. C’est le désir de changer qui crée les conditions mêmes du changement… La pratique du Zen m’a sauvé la vie, mais si ma vie n’avait pas été en péril, jamais le Zen ne serait entré dans ma vie…
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines et la « méga » cellule sociale ?
Le court métrage n’est pas un outil. C’est de la poésie pure. Travailler l’intime est ma façon à moi d’être politique.
Fuck l’amour a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Fuck L’amour a été produit après coup par Atopic (Christophe Gougeon) avec lequel je travaille de temps en temps. Il aimait le film, il l’a pris. C’est aussi simple que ça. Quand je réalise un film je ne pense qu’au film lui-même, jamais au contexte, ça vient après coup. Je viens de terminer le tournage d’un film aux Sables d’Olonne. Cette ville s’est imposée à moi tout de suite. J’ai proposé le rôle principal à Béatrice Champanier (qui a tourné dans Victor ou la piété, de Mathias Gokalp, sélectionné aussi à Clermont cette année) qui a accepté tout de suite. J’habite à Gien, dans le Loiret où tous mes films sont conçus et montés, même s’ils sont parfois tournés ailleurs. Parfois j’ai un producteur, le plus souvent pas. Ce n’est pas grave. Le plus important c’est d’avancer, de continuer, de creuser son sillon, l’absence d’argent et de soutien peut aussi être une liberté extraordinaire, un encouragement à la rigueur et au dépassement de soi. J’ai été sauvé à partir du moment où j’ai eu un public et des comédiens qui acceptent de me suivre. Mes films sont régulièrement vus dans les festivals, un de mes courts métrages Fin de séjour sur terre, a même été montré par Patrice Carré dans son émission de télévision sur CinéCinéma. C’est ça le plus important. Le public a souvent plus d’imagination, plus de vision que les décideurs…
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Pour voir Fuck l’amour, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.