Dîner avec Madam Black
Rencontre avec Ivan Barge, réalisateur de Madam Black
Comment vous est venue l’idée de Madam Black ?
J’avais travaillé sur un court métrage, Snooze Time, avec le scénariste Matthew Harris, qui a par ailleurs écrit le film 43,000 Feet, qui est passé à Clermont en 2013. Quand il m’a envoyé le scénario de Madam Black, j’ai été emballé. Dès la première lecture, j’étais conquis et je voulais faire le film. C’est un super scénariste et j’adore bosser avec lui.
Comment s’est passée votre collaboration avec le scénariste ?
Je voulais que les décors aient l’air d’un assortiment que Marcus, le personnage principal, aurait acheté à la va-vite. Donc il fallait qu’ils se ressemblent. J’ai travaillé avec un illustrateur, James Stewart. Je lui ai expliqué ce que je voulais et ce qu’il a fait a dépassé mes espérances.
Le scénario se contentait de mentionner les différents sites, donc une fois qu’on est tombés d’accord sur un style, j’ai donné à James des images de monuments ou des paysages que le spectateur associerait immédiatement à ces endroits. Les images ont été retouchées pour obtenir la bonne perspective pour chaque photo. Ensuite, il a suffi d’expliquer au directeur artistique quels éléments on voulait ajouter au premier plan, ce qui a permis de faire vivre ces images en 2D pour chaque mise en scène.
L’histoire est-elle inspirée de faits réels ?
Matthew s’est inspiré de deux choses. Un jour, il avait acheté un chat à sa belle-mère pour Noël, et il a accidentellement marché dessus. Heureusement, le chat s’en est sorti, mais Matthew s’est fait regarder de travers pendant un temps. D’autre part, il s’est inspiré d’un récit de Dora Diamant, la maîtresse de Franz Kafka : elle et Kafka avaient rencontré dans un parc une petite fille qui pleurait parce qu’elle avait perdu sa poupée. Kafka l’a réconfortée en lui racontant que la poupée était partie en voyage et qu’elle allait sûrement lui écrire.
On dirait que la mort du chat apporte un peu de piment dans la routine du photographe. Est-ce qu’il n’inventerait pas toute cette histoire plus pour lui-même que pour la petite fille ?
Question très pertinente. Il invente bien l’histoire pour consoler la petite fille au départ (et pour attirer l’attention de sa maman par la même occasion), mais vous avez raison, au final, cela devient un défi qui stimule sa créativité. Chacun de nous s’est retrouvé dans ce genre de situation un jour ou l’autre, à consacrer une énergie disproportionnée à une activité banale.
Le photographe traite le chat plus comme un objet qu’un animal, ce qui constitue le gag principal du film…
On a montré le chat empaillé à des amis et au public dans certains festivals, et ils ne savent pas trop non plus comment réagir – est-ce un objet ou un animal ? D’ailleurs, même les animaux sont déroutés, comme ce doberman de sécurité à l’aéroport de New York qui a bondi et m’a arraché Madam Black des mains, avant de l’envoyer valser par terre – au grand amusement des voyageurs qui passaient à ce moment-là.
Avez-vous improvisé les gags au fil du tournage ou étaient-ils écrits à l’avance ?
Certes, la magie peut se produire sur le tournage, mais le travail se fait en amont. On avait un scénario et un story-board à respecter en commençant à tourner. Cela dit, il y a toujours des changements, c’est bien d’avoir un projet mais on n’est pas marié avec.
Pour ce qui est des gags, cela s’est produit dans certaines nuances. Jethro Skinner, qui joue le rôle de Marcus, a beaucoup apporté au film. Grâce à son jeu et ses initiatives, il a fait évoluer subtilement certaines choses, tout en suivant le script, dans une direction que l’on n’avait pas imaginée avant le tournage.
Un des exemples les plus drôles de digression, c’est la position du chat mort : à l’origine, il devait se retrouver simplement dans le passage de roue, mais pour rigoler, un directeur artistique a demandé qu’on le fasse pendouiller de la voiture et ça a beaucoup fait rire l’équipe – pour le public aussi, c’est plus parlant.
Comment avez-vous choisi les acteurs ?
De façon très différente pour les deux rôles principaux. Pearl Everard avait 7 ans quand on a tourné Madam Black, et quand on cherche quelqu’un de cet âge-là, il faut ratisser large. On a vu plein de gamines, mais Pearl sortait nettement du lot. Elle avait ce petit côté espiègle, une capacité à exprimer un large éventail d’émotions et elle était facile à diriger. Elle avait aussi un sourire édenté très mignon qui la rendait très attachante.
Trouver notre Marcus a été une autre paire de manches. Je me souviens, c’était à Noël, on était à deux mois du tournage et je n’avais toujours trouvé personne qui me convienne pour ce rôle. Mais j’étais très intrigué par un court métrage britannique, Sign Language, d’Oscar Sharp. C’est un chouette film, avec une excellente performance de Jethro Skinner, que j’imaginais très bien dans le rôle de Marcus. Il était clair qu’il savait être expressif sans en faire trop. Il a le don de s’attirer la sympathie du public, ce qui est une qualité rare chez un acteur. Mais une qualité indispensable pour le personnage qu’il incarne dans Madam Black. Ce qu’il fait dans le film est parfois un peu limite, il doit donc savoir se faire pardonner du public, et pour cela, il faut que les spectateurs compatissent à ses malheurs. J’ai donc contacté Jethro Skinner par Facebook…
Il a d’abord été très étonné de recevoir un message d’un parfait inconnu de Nouvelle-Zélande, mais il a demandé de voir le scénario, et ouf, il a adoré. Il a fini par prendre l’avion pour la Nouvelle-Zélande pour mieux s’impliquer dans le projet – c’est un grand voyage de Grande-Bretagne. On a eu de la chance de l’avoir car il était libre entre des représentations à Londres et à Broadway de la dernière production de Mark Rylance, La Nuit des rois et Richard III. C’était une expérience géniale, on est devenus amis et on retravaillera ensemble, ça ne fait aucun doute.
Trois personnes ont travaillé sur le montage. Parlez-nous de cette collaboration.
Oui, il y avait trois monteurs, et si j’avais eu le choix, j’aurais fait les choses autrement. Mais on a mis plus de temps que prévu à finir le film, on n’avait plus d’argent et on n’arrivait pas à trouver la fin, ça ne fonctionnait pas.
Sam Brunette, le premier monteur avec qui j’ai bossé, a réussi à dégrossir le travail. Puis il a dû quitter le projet à cause d’autres engagements – ce sont des choses qui arrivent dans la réalisation d’un court métrage. Parfois, on n’a pas les moyens de s’assurer les services de ses collaborateurs sur une longue période.
Puis un de mes amis, Jarrod Wright, m’a donné un coup de main sur le montage, ce qui nous a permis d’affiner le résultat. Mais il y avait toujours la fin qui posait problème, le montage ne collait pas. Alors j’ai refilé le bébé à Ken Sparks, avec une séquence à rajouter dont je parlerai dans la question suivante. Comme je faisais le lien entre les trois monteurs, ce n’étais pas si grave, les seuls problèmes qu’on a rencontrés étaient d’ordre technique, lorsqu’on est passé de Avid à Final Cut.
Avez-vous fait beaucoup de changements par rapport au scénario d’origine ?
Mis à part Jethro et son penchant pour l’improvisation, comme dans la scène où il enlève le chat coincé dans la roue, nous avons globalement respecté le script. Mais ça n’a pas été le cas au montage. On avait une scène géniale où il voit Racheal, la maman de Tilly, pour la première fois. C’était une des meilleurs prises, mais on n’a pas réussi à l’intégrer à l’histoire. Elle n’ajoutait pas grand-chose, alors on l’a supprimée.
Il a fallu attendre un an après le tournage pour qu’on trouve la solution pour la fin du film : la coupure entre la scène de l’anniversaire et le début du générique était brutale. Mais notre acteur principal était rentré en Grande-Bretagne et Pearl avait un an de plus… Là, j’ai eu l’idée de filmer l’album de cartes postales par-dessus l’épaule de la fillette. Ça n’a l’air de rien, mais ça a tout changé pour le film. On avait trouvé notre point final, le truc qui nous manquait.
Votre prochain film sera sur les chiens ?
Si c’était le cas, Rufus, mon rhodesian ridgeback qui a deux ans, commencerait à se faire du souci ! Mais bon, il fait presque 50 kilos, ce ne serait pas très pratique pour le trimballer dans les festivals.
Notre prochain film sera un long métrage, espérons-le. Avec Matthew, on avait lancé quelques idées mais rien ne semblait accrocher, jusqu’à il y a un mois… À présent, il travaille d’arrache-pied sur un scénario. J’en ai vu une partie et je suis emballé ! Quand on se lance dans un projet, court ou long métrage, on s’apprête à vivre avec sur une longue période, donc il faut vraiment aimer l’histoire. Si on n’est pas à fond, soit le film ne verra pas le jour, soit ça se ressentira à l’écran.
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Madam Black est en compétition internationale dans le programme I2.