Dîner avec People are Strange
Entretien avec Julien Hallard, réalisateur de People are Strange
Avez-vous déjà fait une visite guidée dans un cimetière ou suivi un groupe de fans au recueillement auprès de la tombe d’une célébrité ?
Je n’étais jamais allé sur la tombe de Jim Morrison alors que j’adore me promener dans les allées du Père-Lachaise. Les pèlerinages c’est pas mon truc. Quand j’ai eu l’idée du film, je m’y suis évidemment rendu pour m’inspirer et mener ma petite enquête. J’ai écouté ce que disent les guides à propos de Morrison et j’ai observé les fans dont certains vivent dans la dévotion comme le personnage principal de mon film. C’est la tombe la plus fleurie du Père-Lachaise à l’exception de celle de Allan Kardec, le fondateur du spiritisme à la française.
Comme le héros de People are strange, avez-vous une affection particulière pour Jim Morrison ?
Tout à fait. Adolescent, j’écoutais beaucoup les Doors et je m’identifiais à la figure de poète maudit auto-destructeur de Morrison. Et puis, j’avais 17 ans quand le film d’Oliver Stone est sorti… Il faut dire aussi que j’avais un peu la même chevelure bouclée que Morrison et que j’en jouais pas mal à l’époque dans les boîtes de nuit de mon patelin quand je dansais sur « Break on Through ».
Dans People are Strange, vous présentez trois personnages marginaux, bien que proches de nous. Comment avez-vous choisi de construire ces personnages ? Et comment avez-vous procédé au casting ?
En terme de cinéma, j’ai toujours eu une grande affection pour les « beautiful losers », les gens décalés à la recherche d’une identité, d’une place sociale. Ce genre de personnage correspond à mon type de comédie que je pourrai situer quelque part entre les films de Jim Jarmusch et ceux de Wes Anderson. Pour le rôle fan de Jim Morrison, j’ai tout de suite pensé à mon acteur fétiche Franc Bruneau qui a justement ce sens comique très particulier. Ce qui était important aussi c’est qu’il ne ressemble pas du tout Morrison ; j’ai la plus grande affection pour ces fans qui croit vraiment ressembler à leur idole alors que pas du tout ; c’est beau et tragique à la fois. Pour le reste du casting, je voulais absolument tourner avec Esteban qui est un ovni aussi drôle et déjanté pour moi qu’un Bourvil. Enfin, ce trio a été complété par Mathilde Bisson qui a une beauté étrange, une intensité presque inquiétante.
Dans notre société moderne, les relations des fans les plus touchés aux célébrités qu’ils affectionnent sont assez complexes. Pour réaliser People are Strange, avez-vous fait des recherches sur ces comportements, sur l’adoration du fan ou sur la place laissée à la « personne » dans « personne célèbre » ?
J’ai bien sûr lu quelques articles concernant ces fans qui se prennent pour leur idole ; il y en avait d’ailleurs un qui racontait comment un sosie de Gainsbourg avait poignardé un autre de Johnny Hallyday lors d’une altercation ! Après je laisse faire mon imagination, People Are Strange n’est pas une étude comportementale. L’idée du sosie c’est un point départ pour parler de l’acceptation de soi. Il y a une citation d’Oscar Wilde que j’aime beaucoup à ce sujet : « Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris ».
Dans People are Strange, vous questionnez la confiance en soi. En tant que réalisateur, est-ce facile d’avoir toujours confiance en ses projets ?
Avec le temps, on apprend à faire confiance à son instinct, à sa vision. Il le faut car il y a beaucoup de moments de doutes et d’adversité sur le chemin de la confection d’un film. Il faut être très positif, si vous n’y croyez pas, personne ne le fera à votre place. « Mojo Rising » dirait Morrison.
Dans People are Strange, vous questionnez la marge disponible pour « être soi-même ». Pensez-vous que cet espace soit suffisant dans notre société contemporaine ? Est-ce possible d’ « être soi-même » en famille ? Au travail ? Avec les amis ? Est-ce simple au quotidien ?
On en revient à la citation d’Oscar Wilde et au thème central du film. Nos sociétés occidentales tournées vers le profit, l’accumulation, la réussite rendent nos egos totalement fous. On veut ce qu’on n’a pas, on veut être ce qu’on est pas. C’est une grande souffrance, une course au bonheur qui ne sera jamais satisfaite. Morrison avait nommé son groupe en hommage au livre de Georges Orwell, « The Doors of perception », titre qui était lui-même une référence à un poème de William Blake : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie ».
People are Strange a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
La production française est clairement une exception dans le panorama du court métrage mondial. Avec le soutien du CNC et l’engagement des chaînes de télé dès l’étape du scénario (Arte en ce qui concerne mon film), nous pouvons travailler dans de bonnes conditions. C’est une situation qui ne se retrouve nulle part ailleurs.
Pour voir People are Strange, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F2.