Dîner avec Printemps
Entretien avec Jérôme Clément-Wilz, réalisateur de Printemps
Printemps semble être un film documentaire donnant à voir une relation entre deux hommes, dont l’un parle à la première personne. Est-ce vous-même ou est-ce un tournage ?
Il s’agit en effet d’un film documentaire à la première personne, ou plutôt aux deux premières personnes, lui et moi.
Nous sommes tous les deux à Clermont pour présenter ce film au Festival, cela dit tout d’un processus de création libérateur, d’une histoire racontée à deux voix.
Nous avons fait ces images comme une trace d’une relation vouée à la disparition. Nous nous savions en sursis (mais n’est-ce pas le cas de toute relation amoureuse ?), et il nous fallait une matérialisation de cette empreinte sur nos âmes. Ce n’est qu’après que nous avons décidé de montrer ces images. Pour que cet amour soit vu, pour qu’il soit reconnu, pour qu’il soit éternel.
La dernière fois que je lui ai montré ce film, il m’a remercié. Ce film lui fait prendre conscience et affirmer que nous avons vécu quelque chose d’ultime, de beau, et que personne ne pourra le salir par l’opprobre. Tourner ce film, puis le monter, puis le montrer, sont autant d’étapes, pour chacun de nous deux, sur le chemin de l’acceptation personnelle, et de l’annonce à autrui. Vivre caché a été dur par le passé, aujourd’hui il est bon pour nous deux d’oser, d’affirmer, d’être fiers.
Aujourd’hui l’homosexualité fait débat en France. Dans Printemps, vous montrez que souvent, c’est encore un tabou, et parfois même, toujours un crime aux yeux de certains gouvernements étrangers. Pourquoi avoir choisi d’axer votre film sur la tension, générée par le danger de leur relation, entre les deux hommes ? Jusqu’à quel point avez-vous pensé Printemps comme un récit de cette confrontation ?
Le moteur de ce film est avant tout la fascination, la douce rivière coulant entre les draps d’un lit, les miracles intérieurs, les bains de lait dans les bras de l’être aimé, dents chaudes, rires aigus, douches brûlantes. Le toit de ce film, c’est l’amour, ou plutôt la passion.
Le genre des protagonistes importe peu. Ce que je récuse dans le terme d’homosexualité, c’est le homo, le même. Nous étions bien plus différents l’un de l’autre que la plupart couples dits hétéros, et bien d’entre ces derniers, si semblables, me feraient presque frémir d’inceste.
L’épée de Damoclès est bien sûr là, elle a toujours rodé sous mon toit, annonciatrice tragique de la fin. Elle est un des ressorts de ce film, comme elle le fut de notre histoire ; à elle, nous furent attachés, pantins tragiques, heureux comme des papes jusqu’à la fin.
Printemps donne à voir aussi l’ambivalence entre la fermeté des intentions et réponses de l’homme qui cache son homosexualité par rapport aux doutes et questionnements de celui qui s’expose. Avez-vous réalisé cette ambivalence au montage ou était-elle présente dès l’intention de départ ?
Pour chacun, le processus d’acceptation, à l’intérieur de soi comme vis-à-vis des différents cercles de proches, prend du temps, se fait par étapes, avec des évidences et des doutes. Au cours de ce processus, un film documentaire est souvent, pour ses protagonistes, comme un troisième œil salvateur, une manière de dire que oui, ce que je vis a de la valeur, de faire comprendre, de faire ressentir, au-delà des débats ridicules. Nous avons attendu un an avant de monter et montrer ce film, c’était essentiel.
Aujourd’hui, des milliers d’heures de vidéo sont postées sur Internet chaque jour. Le terme de documentaire n’a jamais été aussi peu adéquat. Au milieu des bribes de documents, des CCTV, des Russian Car Crashes en Embedded camera, des fails, des weirdest thing ever, des GoPros, notre rôle est de ré-enchanter le monde, non pas d’offrir un document mais une sorte de palimpseste, une empreinte inscrite dans le manque. Et surtout de viser l’universel, ce qui rassemble, ce qui fait rêver et discuter.
Faire un documentaire est une tâche ardue, douloureuse, surtout quand il s’agit de sa propre histoire, et quand le film engage à ce point son protagoniste. Il s’agit alors à la fois de montrer la dureté du réel, de se la prendre dans la face, et d’organiser la monstration du film dans la douceur et la concertation. Ce film est là pour lui, pour nous servir. Convoquer le passé et en faire une arme pour l’avenir. Dans son processus de coming-out, cette œuvre poétique peut aider.
Certaines images de Printemps relèvent du fantasme comme le rapport à la danse, l’image du corps athlétique en sous-vêtement… Pourquoi avoir choisi d’intégrer ces séquences au montage ?
L’amour est illuminé d’un ensemble de signes, d’appels au monde concentrés en une main aux doigts frêles.
Dans Printemps, on voit l’obsession qu’a le réalisateur de filmer. Pourquoi avoir choisi de montrer cette obsession ?
Nous l’avons tout de suite compris, la chose la plus précieuse au monde se doit d’être gardée comme un joyau. Si elle ne l’est pas, elle ne peut que disparaître à jamais dans l’oubli. Geste désespéré de rattraper à mains nues le rocher qui se détache de la falaise.
La caméra a été toujours présente entre nous. Il y a toujours conscience totale, pour nous deux, de cette caméra comme stylo de notre histoire. La confrontation est de l’ordre du dialogue, de choses que l’un ou l’autre ne veut pas dire, ou pas entendre.
Avec quels moyens avez-vous réalisé Printemps ? Avez-vous fait appel à des producteurs, des partenariats ? Est-ce une auto-production ?
Ce film a été tourné et monté seul. Lorsque je parlais à François-Pierre Clavel de notre histoire, il a accompagné notre désir de l’offrir en partage.
Printemps est du coup une production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production Française apporte que les autres n’ont pas ?
La France m’emmerde.
Il est difficile pour moi de parler en général, mais Kidam offre un espace de liberté et de force du langage rarement trouvable.
Enfin, Printemps sublime la poésie du train-train quotidien et le passage du temps. Pensez-vous que l’Amour peut tout transformer ?
L’amour est selon moi moteur du monde. Il devrait être celui de toute création.