Goûter avec Diversion
Entretien avec Mathieu Mégemont, réalisateur de Diversion
Pourquoi ce titre Diversion ?
En référence à la fameuse maxime de Pierre Bourdieu : “Le fait-divers fait diversion“, si ce n’est que le film l’utilise dans une perspective ironique, l’histoire étant elle-même celle d’une diversion, une machination absurde pour maquiller la réalité des faits. Le fait-divers devient une diversion au sens où ce qu’il relatera ne sera qu’une lecture faussée du réel, un réel lui-même très étrange… En élargissant les choses, j’aime bien me dire que le film lui aussi est une sorte de diversion : le spectateur y entre sur un chemin qu’il pense balisé mais petit à petit, les bifurcations du récit l’amènent ailleurs. En gros, les codes que je lui donne au départ sont là pour faire diversion de ce que le film va devenir.
Comment avez-vous construit l’intrigue de Diversion ? Êtes-vous parti d’un personnage, d’un lieu, d’un événement ?
L’intrigue s’est construite à partir de deux éléments : mes souvenirs, mes sensations d’adolescent dans une région rurale française très particulière, le Médoc, et le principe d’écriture automatique héritée des surréalistes. Contrairement aux scénarios que j’écris d’habitude, avec un gros travail de construction préparatoire, celui-ci a été écrit dans l’urgence sans savoir où j’allais, uniquement porté par des souvenirs et des réappropriations de choses vécues dans cette région, une région où, dans mon souvenir, une brèche pouvait s’ouvrir dans la réalité en un quart de seconde. Vous êtes dans la réalité et l’instant d’après, sans que vous y ayez prêté attention, le monde est devenu autre, absurde, fantastique voire cauchemardesque. Une sorte de Quatrième Dimension permanente qui peut vous engloutir à tout moment. Aussi absurdes que puissent paraitre les évènements dans le film, ils viennent tous de choses vues ou vécues quand j’étais plus jeune, ensuite réinterprétées pour les faire tenir dans un récit où la logique devient de plus en plus étrange.Au final, je me suis aperçu que la construction du récit avait surtout repris celle de mes cauchemars récurrents, à savoir la fuite éperdue vers la gueule du loup comme dans les films de zombies où les personnages sont poussés malgré eux à se retrancher dans des lieux de plus en plus confinés rendant leur fuite illusoire et implacablement fatale. C’est une variation autour de la “logique du pire“.
Le thriller n’est pas le genre le plus représenté dans le court métrage français. Selon vous, quelles idées ce genre permet-il d’aborder ? Parmi les spécificités du genre, quelles sont celles qui vont ont séduit ?
Je connais mal le monde du court métrage, je ne me réfère qu’aux longs métrages ou, dans le cas particulier du thriller, à la littérature, aux romans noirs. D’un point de vue général, je pense que ce que ce genre permet d’aborder, et ce depuis ses origines avec des auteurs comme Chandler et Hammett, c’est la réalité tapie derrière l’écran de fumée de la société. Le personnage principal creuse les causes d’un évènement et va au final révéler bien plus que ce qu’il pensait à l’origine, à travers une enquête ou, plus tragiquement, malgré lui. Le thriller, comme tout un pan noir du genre (l’horreur, le fantastique…), permet de révéler le côté sombre de l’homme et de sa société, d’en extirper le caché ou le refoulé, via la métaphore ou pas. D’un point de vue purement formel, ce qui m’a intéressé, c’est d’utiliser cette structure de la chasse puis de la fuite pour créer de la tension et impliquer au maximum le spectateur, jouer avec lui, avec ses attentes, lui donner ce qu’il veut à un moment pour mieux le déstabiliser le coup d’après. Je trouve que le genre possède un côté ludique formidable dont en tant qu’auteur je trouverais dommage de me passer. Il permet aussi, en poussant les choses, de placer instantanément le monde du film dans un réel autre que l’auteur peut ensuite manipuler comme il le souhaite, de pouvoir le faire basculer ou de le déchirer complètement même.
En matière de thriller, quelles sont vos influences cinématographiques (court ou long métrage) ?
Elles sont très très larges… En matière de “noir“, il me semble que Chinatownde Roman Polanski est assez indépassable. En matière de raffinement et de jeu avec le spectateur, difficile de battre Hitchcock mais aussi ses disciples réflexifs et baroques, Brian De Palma et Dario Argento. Métaphysiquement, je suis un grand amateur de l’absurdité sombre des frères Coen. Enfin, en ce qui concerne la brèche dans le réel, je suis particulièrement admiratif de la manière dont David Lynch a su jouer avec ces codes pour faire basculer certains de ses films (Blue Velvet, Twin Peaks, Lost Highway, Mulholland Drive…) dans un monde totalement fantastique. Mais à vrai dire, j’ai plus appréhendé Diversion sous l’angle horrifique, par le biais du genre “Survival“, avec une dimension redneck assumée, une sorte d’appropriation française de tout un pan du cinéma d’exploitation américain des années 60 et 70 que j’aime beaucoup. Le tout dans une perspective absurde. L’idée générale était de contrebalancer la violence des évènements montrés par le film par un humour à froid afin de placer le spectateur dans une position un peu inconfortable, flottante : doit-il rire ou s’inquiéter de ce qu’il voit ?
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Oui, la liberté d’expérimenter. Expérimentation sur le récit et sur ce ton dont je parlais juste avant, celui de l’inconfort, l’indécision entre le rire et la terreur. Il m’a aussi poussé à expérimenter la justesse du ton avec lequel manier un récit aussi “fou“ et des personnages aussi caricaturaux (a priori) pour que le spectateur puisse y croire et jouer le jeu. Le scénario était vraiment un terrain miné à partir duquel le film pouvait à tout moment s’échouer contre des écueils, le grotesque d’un côté et la brutalité gratuite de l’autre. J’ai finalement compris que le meilleur moyen de parvenir à cette justesse était de raconter cette histoire “normalement“, sans effets trop voyants, que ce soit dans la mise en scène ou le jeu des comédiens. Car de fait, ce qu’il y a d’inquiétant dans la folie, c’est quand elle vient petit à petit se substituer à la normalité sans qu’on y ait pris garde. Et l’autre réflexe d’un esprit rationnel face à ça, c’est de rire…. La leçon que j’en ai tirée c’est que si vous souhaitez raconter quelque chose de “fou“, le mieux est de le faire le plus normalement possible.
Pour voir Diversion, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4 et de la Collection CANAL+.