Dernier verre avec D’un château l’autre
Entretien avec Emmanuel Marre, réalisateur de D’un château l’autre
Comment avez-vous rencontré Pierre et Francine ?
Pierre Nisse est comédien, mais c’est avant tout un ami. Francine Atoch…c’est ma mère. Comment ils se sont retrouvés sur le tournage ? Quelques jours avant la fin du premier tout de l’élection, je sentais que quelque chose se passait, il y avait dans l’air quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre, quelque chose qui m’angoissait et me rendait triste. Je me suis dit il faut faire un film pour tenter de comprendre ou au moins en garder une trace. J’ai alors appelé Pierre et je lui ai demandé s’il était libre sur le champ pour interpréter le rôle d’un étudiant à sciences po qui serait tenté par le vote frontiste. Comme les derniers meetings du premier tour se tenaient le lendemain, on a d’abord tourné les scènes de meeting de Macron et de Le Pen. Il fallait inventer la suite. On a donc commencé à tourner des choses à Sciences po de manière pirate, avec des étudiants rencontrés sur le tas. Mais quelque chose ne fonctionnait pas. Julie Lecoustre qui m’accompagnait dans l’écriture (si on peut parler d’écriture car tout est improvisé) m’a demandé un soir “Mais en fait, où il vit cet étudiant ?“. J’ai répondu intuitivement, on a qu’à dire qu’il vit chez Francine, chez ma mère. Elle a eu par le passé des étudiants à qui elle louait une chambre, donc c’était assez plausible. On est allé directement chez elle, (elle répond rarement au téléphone) et on a fait d’emblée une scène improvisé. Quelque chose d’un peu magique et mystérieux est né immédiatement. Cette scène on la retrouve au début du film quand Francine parle de la robotisation.
À quel point étiez-vous intéressé par le questionnement politique de Pierre et son indécision en intention de vote ?
Quand on s’y est rendus, Pierre s’est senti très mal pendant le meeting de Macron. Il se sentait agressé par le discours. Il insiste souvent sur le fait qu’il vient d’un milieu populaire et il se sentait méprisé et nié par le discours de Macron. La “positive attitude“ et l’électro euphorisante, il les vivait comme une agression. À l’écran, ça sautait aux yeux. Plutôt que de composer un personnage on s’est dit que ça allait être la base du film, ce ressenti. Quand on est allé chez Le Pen quelque heure plus tard, un moment très particulier de son discours m’a beaucoup marqué. Elle parlait d’esclavagisme des travailleurs promis à un monde low cost. Un discours que j’aurais plutôt attendu dans un meeting d’extrême-gauche. Tout le cœur du film devenait son parcours face à ces émotions confuses.
Comment avez-vous pu filmer certaines séquences très délicates comme celle du loyer en retard ?
Le film est une fiction donc cette scène, on l’a simplement improvisée. Cela dit, ma mère a des problèmes d’argent et Pierre aussi donc ça touchait des choses intimes en eux.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapprochement du quotidien difficile de Pierre avec celui de Céline dans son livre D’un château l’autre ?
Pour être honnête, je trouve ce titre magnifique. Il fait naître plein de choses quand on le prononce. Après, le titre parle de ce qui se passe derrière le crâne de pierre. Dans ce livre, Céline atteint un point extrême de vocifération et de ressentiment qui est celui que pierre garde sans cesse en lui sans arriver à le faire sortir et à l’exprimer. Ensuite, au moment du montage on a essayé de s’inspirer du style de Céline avec des tournures de phrases batardes, qui ne respectent pas la conformité littéraire. Les fameux trois petits points. On a essayé modestement de reprendre ça dans la façon dont on coupait dans la matière.
Comment avez-vous travaillé l’image ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de lui donner un effet flou ou granuleux par moments ?
Au tournage, on a filmé avec mon iPhone et avec une caméra super 8. Le grain qu’on voit à l’image est celui de la pellicule. Sur le moment, je ne savais pas bien pourquoi je ne choisissais pas entre les deux supports. Maintenant je crois que c’est parce que deux temporalités se superposaient : l’image luisante et directe de l’iPhone traduit l’immédiateté du moment qu’on vit en direct. Le super 8 donne au film l’aspect de quelque chose qui est déjà une mémoire, un souvenir.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
N’ayant jamais fait de long métrage, je ne peux pas comparer. Le court métrage a aussi ses contraintes. Dans le court métrage classique, il y a aussi un formatage dans la durée ou parfois une certaine tendance à un langage trop narratif. La vraie liberté est venue du fait que mes producteurs et ma micro équipe (on était deux sur le tournage à faire toute la technique, Julie et moi) m’ont laissé tourner sans savoir où j’allais sans savoir ce qui allait se produire.
Pour voir D’un château l’autre, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I5.