[Édito] Compétition labo 2019
Depuis sa création, la compétition Labo se transforme sans cesse, avec l’obsession de ne pas se laisser enfermer dans une case, quelle qu’elle soit.
Le sillon se creusait depuis quelques années : pour cette 18eédition, le documentaire se distingue davantage comme un continent entier plutôt qu’une péninsule du Labo ! Le tournant du XXIesiècle correspond à l’entrée dans un monde globalisé et au début de l’ère numérique. Le documentaire s’est alors libéré du simple cinéma direct, de l’observation, il s’est réinventé. Ces films défendent des valeurs dont nous avons besoin, l’humanisme en est le cœur. Il y a une forte attente en termes de sens, de partage, une envie de se reconstituer en tant qu’êtres humains en étant les protagonistes de ce monde, alors que l’information en crise nous bombarde, nous contraint à la passivité. Avec The Migrating Imagedu Danois Stefan Kruse, nous suivons un groupe fictionnel de réfugiés à travers l’Europe. D’où viennent toutes ces images sur les migrants ? Le film interroge la surproduction d’images autour d’eux. Comment redéfinissent-elles la géographie de l’Europe ? Nous vivons dans un monde où la peur de l’autre est devenue effarante, comme si notre identité était menacée par l’extérieur, et en même temps fragilisée de l’intérieur, en proie à une crise existentielle sans pareille.
Dans Our Song to War l’exploration du territoire du village de Bojaya sert à la réalisatrice colombiano-belge Juanita Onzaga de fondation à sa narration : perception d’une réalité parcourue d’irrationnel, rémanence de schémas archaïques, primitivisme, survivance du sacré, le tout avec un sens exceptionnel de la mise en image.
Clément Cogitore lui, s’éloigne de ces rituels fabuleux en détournant des images des bases de données de Shutterstock et Getty Images. Sur ces extraits de bonheur marchand, irréalistes et aseptisés, vertigineux de déjà-vu, il greffe avec The Evil Eyeun récit apocalyptique jouant sur l’idée d’un mal lié à la femme, bouc émissaire depuis des temps immémoriaux, des sorcières à Ève. Clément Cogitore vient de décrocher le prix Marcel-Duchamp (Jean-Charles Vergne, directeur du FRAC Auvergne, en fut le rapporteur), il avait trois films en compétition l’année dernière à Clermont et a récolté pas moins de deux prix.
On retrouve cette Ève dans le film d’Agathe Riedinger (en compétition nationale l’année dernière avec J’attends Jupiter) qui creuse encore plus profondément le sillon, interrogeant l’image de la femme « idéale » et la quête éperdue de l’amour, avec une utilisation des plus troublante de Google Voice.
Pang Chuan Huang, élève du Fresnoy – Studio national des arts contemporains (comme Clément Cogitore), interroge avec sa douceur et sa désinvolture toutes personnelles : « Que faisiez-vous l’année dernière, quand j’ai pris cette photo depuis un train passant devant chez vous ? » et dessine avec Last Year When the Train Passed bysous couvert de cette question anodine une touchante carte de Taïwan, en dehors des villes et des territoires déjà balisés par le cinéma, en écho à son précédent film Retour, auréolé du Grand prix Labo lors de l’édition 2018 du festival.
Le Labo veut encore une fois saisir, provoquer un effet de surprise, une satisfaction profonde, unique, mêlant émotion, esthétique et éthique, face aux œuvres proposées cette année.