[Édito] Compétition nationale 2019
La 41ecompétition nationale propose cette année 54 films, dont 22 réalisés ou coréalisés par des femmes.
Et ce sont précisément des femmes qui occupent le devant de la scène de beaucoup de ces courts métrages : Si Pauline attend désespérément un texto (Pauline asservie), Marie-Pierre fait la loi dans sa palombière (Le mal bleu), Agathe veut un enfant à tout prix (La nuit des sacs plastiques), Sabine et Natacha, qui s’ennuient à la campagne, vont se perdre (Tigre) et d’autres femmes chantent pour faire acte de résistance, magnifiées par la réalisation de Jean-Gabriel Périot (De la joie dans ce combat). Les hommes sont moins en forme : Michel lutte contre son passé et son addiction (Beautiful Loser), Émile a jeté l’éponge et repeint un monde monochrome (Chien bleu), Jean, à la dérive dans un abattoir en faillite, passe à un système D pas franchement vegan (Matador), Acacio a quitté la compagnie de ses semblables pour celle de ses chiens (Jauria).
Face à des adultes souvent dépassés, les enfants apparaissent plus d’une fois livrés à eux-mêmes et à un certain désœuvrement, même s’ils trouvent encore l’énergie de se démener. Ils iront tuer l’ennui à la fête foraine (La Ducasse), découvrir un pactole inespéré dans le désert (Nefta Football Club), ou sur une piste de danse pour séduire la plus jolie fille de la classe (Souvenir inoubliable d’un ami). Pour Siri et Fatiya, la naïveté le cède à la gravité et il s’avère difficile de lutter contre la fatalité sociale (The Animal) ou simplement de faire du baby-sitting voilée (Fatiya), alors qu’elles aimeraient peut-être retrouver l’apparente insouciance de Cédric et Sofiane, qui ont simplement décidé de sortir Nus dans les rues la nuit.
Les rapports des « adulescents », ou jeunes adultes, avec leurs parents ne sont pas plus simples. Milène profitera de la sagesse de Momo pour oublier la maladie de sa mère (Automne malade), Christelle se débattra malgré un père en dérive sur la Loire (La route du sel), Marin prendra sur lui le temps d’une permission pour vivre quelques jours avec sa mère, entre tendresse et affliction (Soleil d’hiver).
Dans l’épais silence des familles, nous avons entraperçu beaucoup de fantômes cette année : un père omniprésent dans Je sors acheter des cigarettes, un compagnon amateur de bégonias (Des fleurs), l’ombre d’une amie disparue (Guaxuma), le terrible secret d’un vieil homme (Le chat qui pleure), la transposition d’un deuil (Roberto le canari).
Les migrations sont aussi, comme on pouvait l’attendre, au cœur de nombreux films et, plutôt que de filmer l’exode, les réalisateurs ont pris le parti de nous donner à voir l’exil. Zhenos, 11 ans, nous invite à vivre son quotidien dans un hôtel d’Athènes, au milieu d’autres réfugiés afghans qui, comme elle, tentent de s’inventer une nouvelle vie, fût-elle transitoire et incertaine (City Plaza Hotel). Famillenous fera pénétrer chez Lisa, qui peine à deviner les intentions de la famille somalienne qu’elle a décidé d’héberger.
Quand rien ne va, que peut-on faire ? Autant y aller franchement et prendre les armes : s’emparer d’un fusil et braquer le bar où on va boire ses demis (Claude libre), dévaliser une station-service et prendre en otage son propriétaire atteint d’un syndrome de Stockholm décidément contagieux (Braquer Poitiers), acheter un fusil de paintball et se venger bêtement (Air comprimé), ou prendre la fuite avec un jambon à 30 000 euros (Jupiter !).
La compétition nationale 2019 est très diverse dans ses narrations et ses techniques.
L’animation – qui est une technique et non un genre, rappelons-le, sera cette année particulièrement bien représentée, avec 15 films qui nous feront passer de la 2D à la 3D, du dessin à la peinture, de la pixilation à la marionnette animée. Des films qui traitent de sujets forts, sérieusement ou non : de l’imprimerie face au numérique (Hurlevent), d’un drame automobile (Le Mans 1955), des rapports de la Belgique à son histoire coloniale (Ce magnifique gâteau !), de l’anorexie (Egg), de la luxure et du péché (Raymonde ou l’évasion verticale), d’une après-midi en apparence anodine de distraction dans le sud de la France au rythme des cigales (Riviera).
La fiction, elle, va prendre des chemins très différents pour nous raconter des histoires : celui du film littéraire et hypnotique pour nous faire assister à la préparation d’un exposé sur Camus (Tomber) ou nous inviter à découvrir la campagne publicitaire d’un grand écrivain portugais pour le Coca-Louca (Comment Fernando Pessoa sauva le Portugal) ; celui du film d’atelier pour proposer à des jeunes Marseillais de s’évader en minibus (Barcelona) ; du documentaire-fiction pour nous emmener à la recherche d’un poisson a priori nuisible (Le baiser du silure) ; du film de genre pour nous faire partager les mésaventures rocambolesques d’un fait-diversier (Diversion) ; du film à suspense pour tenter d’ouvrir des portes contre l’absurdité sécuritaire (Mort aux codes).
Il a fallu sept mois pour visionner 2 033 productions ou co-productions françaises, record de films inscrits à la compétition nationale de Clermont-Ferrand, et ce fut un véritable plaisir pour le comité de sélection de voir un cinéma français d’une telle diversité dans ses sujets et ses façons de les aborder, de voir autant de propositions artistiques nous parler du monde avec des partis pris forts et souvent avec humour. Un plaisir et aussi une belle surprise de revoir le comédien Philippe Polet dans un docu-fiction déchirant filmé par sa propre fille (Moi votre ami), plus de 30 ans après son rôle-titre dans Intérimde Jean-Pierre Ameris (Grand Prix national au festival du court métrage de Clermont-Ferrand 1988).
On espère que le public clermontois et le jury national partageront ce plaisir avec nous.