Édito – Compétition labo 2022
Un rail de lumière
Écran blanc. Le festival revient en salles, la lumière pure de la projection illumine à nouveau les spectateurs. Enfin !
Avec Train Again, Peter Tscherkassky reprend lui aussi au départ, retourne à la lumière et aux Lumière, qui, à l’époque, ont fait un film sur l’arrivée d’un train. L’expérience du grand écran est toujours impressionnante avec le maître viennois du cinéma d’avant-garde qui poursuit une relecture radicale en cinémascope : un train arrive et entre en collision avec sa propre réflexion.
Les événements se précipitent, il hystérise les images, leur fait perdre leur certitude, croise les pistes sonores avec les bandes de perforation, change le positif en négatif, éventre son matériel et fait même (entre autres) un clin d’œil au Shining de Kubrick.
Son retour en compétition après plusieurs sélections (par exemple Instructions for a Light and Sound Machine, mention du jury labo en 2006 et présent dans le coffret 20 ans du labo) s’accompagne presque logiquement de celui de Bill Morrison (juré labo 2014) avec qui il partage un amour de la matière argentique.
C’est par l’oubli de formes préexistantes, par déformation, que l’on peut voir apparaître de nouvelles formes ; la poésie pure de son Her Violet Kiss fait merveille, ce qu’écrit Mallarmé à propos de Manet s’applique parfaitement à son film : « le sujet palpite de mouvement, de lumière et de vie ».
Le film documentaire est au cœur du labo depuis de nombreuses années maintenant. La création cette année d’un César du meilleur court métrage célébrant ce genre en souligne si besoin son urgence. Les réalisateurs traduisent les bruits de fond de leur époque, comme Vincent Le Port et son film La Marche de Paris à Brest, dans lequel, en quelques photogrammes, il réussit le tour de force de dessiner une ruralité dans ce qu’elle a de plus humain ou encore Jean-Baptiste Alazard qui donne à voir avec Saint Jean-Baptiste dix ans de vie à travers un journal très intime, d’une poésie folle, réussissant la prouesse d’être complètement ouvert sur le monde et la société qui l’entoure.
La représentation du travail est extrêmement variée à travers de nombreux documentaires dans cette sélection : A Day’s Work de Max Kerkhoff avec une approche très plastique au début et des images stupéfiantes de beauté, s’approche ensuite au plus près de son sujet pour en révéler la portée dramatique, ou encore Arbete åt alla! signé par le duo suédois Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck qui offre une brillante démonstration, implacable mais pleine d’humour, de l’aliénation par le travail et de la concentration des richesses. Leur précédent film, Hopptornet, prix du public et prix spécial du jury labo en 2017, est aussi présent dans le coffret anniversaire. Ivete Lucas et Patrick Bresnan, avec Happiness Is a Journey, mettent en image avec un habile split-screen le quotidien de livreurs de journaux la nuit de Noël ; on s’enfonce avec eux au cœur d’une grande ville américaine et de sa banlieue.
L’Huile et le Fer du Suisse Pierre Schlesser réunit ruralité et monde du travail avec une infinie pudeur, s’attardant avec sa caméra sur des gestes séculaires. À travers ces films se glisse une richesse qui invite l’humanité à reconsidérer le regard qu’elle porte sur elle-même, et qu’il est urgent de redécouvrir.
Lotfi Achour, juré en 2018, sélectionné aussi bien au national qu’à l’international, réalisateur de longs métrages, arrive pour la première fois en compétition labo avec Angle mort : ce documentaire animé utilise avec une belle intelligence la liberté que lui procure ce genre, sans rien enlever à la force de ce brûlot sur la période Ben Ali, autocrate tunisien renversé par le Printemps arabe en 2011.
Autre habitué du festival, accompagné par la Commission du film – il avait tourné en Auvergne son documenteur Capucine et même assommé Claude Duty sur la scène de la salle Cocteau à grands coups de baguette (voir vidéo ci-contre) -, Luis Nieto affole les pupilles avec Swallow the Universe, épopée haute en couleurs et en odeurs qui revisite les codes du manga à la sauce Nieto tout en se réappropriant l’usage satirique des Chôjû-giga chers au studio Ghibli. Tout cela va ravir les fans d’anime et ceux de Colin Stetson qui en signe la musique.
Autre belle surprise de cette sélection avec un mélange détonnant : culture hip hop, une pointe de fantastique et quelques clins d’œil à The Wire qui s’invitent dans Le Boug Doug, OFNI mis en scène par Théo Jollet. On suit avec délice les mésaventures de cette clique de rappeurs underground un peu perdue dans ce village du centre de la France.
Dans son livre Connexion, à l’heure où les réseaux sociaux nous poussent à la représentation perpétuelle, où l’apathie nous gagne au point de nous faire oublier qui nous sommes, Kae Tempest crie l’urgence de nous reconnecter. À nous-mêmes, aux autres, à la réalité, pour que jaillisse l’étincelle vitale de la création. La richesse de cette sélection labo 2022 rappelle la valeur de la création comme puissant instrument de partage et de réinvention.
Chiffres-clés
27 films
17 pays représentés
11 documentaires en prise de vue en continu
8 fictions animées
5 fictions en prise de vue en continu
2 fictions expérimentales
1 documentaire animé