Dîner avec Egg (Œuf)
Entretien avec Martina Scarpelli, réalisatrice de Egg (Œuf)
Egg s’intéresse aux mécanismes de l’anorexie, à ses rituels, à l’isolement et aux obsessions qu’elle fait naître. Pensez-vous que le succès du film s’explique, en plus de ses qualités techniques, par le fait qu’il aborde un sujet difficile, qui reste de l’ordre de l’inconnu pour le public ?
Très certainement, oui. Et particulièrement par la manière d’aborder le sujet en soulignant la complexité de cette relation entre quelqu’un qui a peur de quelque chose et cette “chose“. Le film montre bien comment la peur peut avoir quelque chose d’attirant et l’effort que ça représente pour la dépasser. C’est l’illustration d’un moment de honte et de victoire en même temps. Je voulais éviter à tout prix de provoquer les sentiments de tristesse, de pitié, qui sont si faciles à provoquer quand on met en scène une jeune fille aux prises avec l’anorexie. La majorité des gens pense qu’il n’y a rien de séduisant dans cette maladie et n’y voit pas la dimension sexuelle, ce qui, je pense, donne à ce film un angle de vue intéressant.
L’animation ne représente pas un corps maigre, ce qui crée une distance entre le sujet du film et sa représentation. On a davantage l’impression de voir apparaître sous nos yeux l’intériorité de la personne souffrante, voire peut-être d’accéder à son inconscient. Était-ce l’effet recherché ?
Disons qu’un film d’animation étant une fiction, c’est quelque chose qui s’élabore, et du coup, c’est bien d’établir une distance. Ce recul qui permet d’être à bonne distance de son sujet et permettre ainsi au public de bien comprendre ce qui arrive au personnage de l’histoire. Comme le style est très épuré, j’ai pu jouer avec le corps, le distordre, le transformer, et avoir recours aux aspects visuels pour créer une sensation d’inconfort qui ne soit pas liée directement au refus de nourriture ou à un corps trop maigre. Je pense que focaliser sur la maigreur est une erreur parce que ce qui y amène est un processus très complexe et pervers, beaucoup plus que le symptôme lui-même. Je voulais que Egg parle de ce processus-là, si étrange. Donc oui, c’est un voyage dans la tête du personnage, c’est sûr. Elle nous fait part de son secret, et elle a conscience que c’est elle qui le créé.
À ce titre, pensez-vous que Egg puisse s’adresser en particulier, non pas aux anorexiques, mais aux personnes souhaitant comprendre davantage cette maladie ?
C’était l’idée ! Mais après sa réalisation, j’ai reçu des messages très touchants de la part de femmes directement concernées par cette pathologie, ce qui m’a fait changer d’avis. Ça m’a vraiment beaucoup atteinte. Et depuis, Lana Nikolic, de Love Production, a développé une série pédagogique sur le sujet qui nous a donné l’opportunité d’échanger avec des psychiatres de différents pays européens.
Les possibilités qu’offre l’animation en font-elles la technique idéale pour évoquer cette maladie faite d’angoisse, d’irrationnel et de paradoxe ?
Je pense que l’animation est un paradoxe en soi. Personne ne pense qu’il y est question de la réalité, et pourtant tout le monde y croit. Je pense que c’est très efficace du point de vue psychique. Même si aussi parfois, ça ne marche pas du tout.
Comment avez-vous travaillé pour faire naître ce sentiment de trouble, voire de malaise ?
Je souhaitais que le film ait à la fois un côté très propre sur soi et en même temps, un peu obscène. JIl y a une belle tension dramatique : ça commence doucement, puis évolue lentement vers quelque chose de plus agressif. Je savais que ce ne serait pas un film facile, et c’est ce que j’aime, quand un film d’animation est inquiétant ou bizarre. Le personnage est à la fois malade et sur la voie de la guérison : nous sommes constamment sur un fil, il est difficile de faire la part des choses entre le bien et le mal, entre plaisir et répulsion, ce qui se traduit par une forme d’anxiété ou de sentiment d’inconfort comme celui qui prend le pas quand on sent qu’on perd le contrôle.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Ça m’a permis de travailler de façon autonome avec une toute petite équipe de gens de confiance avec qui j’ai pu aller au bout des choses. Je crois aussi que le format court permet d’oser un style différent, plus direct et synthétique.
Egg (Œuf) a été projeté en compétition nationale.