Dernier verre avec En Busca de un Tierno Silencio (En quête d’un doux silence)
Entretien avec Luis Cifuentes, réalisateur de En Busca de un Tierno Silencio (En quête d’un doux silence)
Avez-vous une expérience personnelle de l’ère Pinochet au Chili et de ses conséquences ?
Oui. Ma famille a souffert de persécutions après la grève du 11 septembre 1973. Je suis né en 1977, dans une famille qui a fui la dictature. Mon père faisait partie d’une compagnie de théâtre appelée ALEPH, dont certains membres ont été emprisonnés, l’un d’eux a disparu et d’autres ont été exilés. Aujourd’hui, la compagnie existe toujours, elle continue à montrer ses formidables créations au monde entier. Ils sont basés en région parisienne, à Ivry-sur-Seine, où ils ont trouvé un endroit pour renaître. Le frère de mon père a dû s’exiler, ainsi que ses cousins, car ils faisaient partie du groupe de musique Inti-Illimani. Exilés en Angleterre et en Italie, ils ont consacré leurs vies à la libération du Chili. J’ai grandi dans un pays triste, une vie sans manifestations, sans liberté, réduit au silence. Ma famille ne parlait pas beaucoup de tout ça, pour protéger les enfants. Mais aussi à cause de la souffrance et de la peur. Se replonger dans le passé, c’est quelque chose qu’ils refusent, même l’évocation de souvenirs. Pour les victimes, c’est dur de se remémorer cette période. Elles préfèrent aller de l’avant. Et quand on pose des questions sur le passé, on se heurte le plus souvent au silence. Avec tous ces silences, on finit par comprendre et ressentir que le silence peut revêtir plusieurs couleurs et receler plusieurs émotions.
Les personnages du film sont-ils inspirés de gens que vous avez rencontrés ?
En 1998, j’ai décidé d’explorer ce pan de notre histoire, de me rendre sur les lieux où ma famille avait été exilée, de tenter de retrouver ce qu’ils avaient pu ressentir et de parler avec eux du retour au pays. J’ai pris conscience du fait que lorsqu’un pays est détruit, c’est un pays figé qui reste dans les mémoires, un lieu de nostalgie. Ainsi, pour les exilés, le pays s’est figé dans les souvenirs. Parmi ceux qui vivent dans un autre pays, certains ont toujours l’esprit là-bas, d’autres ont préféré l’oublier. Pour ceux qui sont rentrés au Chili et ont retrouvé un pays transformé par 17 ans de silence, ça a été dramatique. Les souvenirs magiques figés dans les mémoires se sont effondrés devant l’horreur de la réalité. Un peuple réduit au silence pendant de longues années, qui ne voulait plus parler, un peuple pétri de peur et de haine. Mais il doit y avoir du bon dans tout cela, je crois malgré tout que les humains peuvent réagir et améliorer les choses, ou du moins tenter de trouver des sentiments positifs et de transformer cette tristesse en quelque chose de beau. Voilà de quoi parle En Busca de un Tierno Silencio: le protagoniste sait que parmi tous ces silences, il doit bien s’en trouver un qui lui apportera un moment de gentillesse et de tendresse. Car enfin, ils ont détruit des vies humaines, ils ont voulu séparer et tuer, mais ils n’ont pas réussi à détruire l’amitié et le bonheur.
Que pensez-vous du regard de la nouvelle génération sur la politique au Chili ?
Le pessimisme est très prégnant, chez toutes les générations. Les plus anciens, qui ont connu les années 1950, 60, et 70 ont vu le pays changer et pensent qu’il n’y a rien à faire. Ceux qui ont connu les années 1980 ont été grandi avec cette idée qu’il n’y a « rien à faire ». Puis est arrivée la génération 1990, qui se fiche de tout. En revanche, les générations d’après 2000 s’organisent, elles créent des mouvements, apportent un nouveau souffle dans les manifestations. Les banderoles abordent des sujets plus spécifiques. En tout cas, les changements doivent s’opérer sur une base solide, en créant une nouvelle manière de voir la société et l’économie. Tout baser sur un modèle économique de marché n’est pas viable, car les chaînes de productions évoluent rapidement, les services sont menacés et l’injustice est mortifère.
L’acteur qui incarne Juan est saisissant. Comment l’avez-vous trouvé ?
Daniel Candia est un acteur renommé au Chili. Il a récemment joué dans un long métrage primé dans le monde entier, Tuer un homme. Il a également joué des rôles secondaires dans deux longs métrages produits par nos soins, La Holandesa (projeté en avant-première au festival du film de Toronto 2017) et De la Noche a la mañana (en cours de montage). Comme nous cherchions un acteur d’une cinquantaine d’années qui ait une sensibilité politique, nous avons décidé de travailler avec lui. Nous l’avons appelé et il a immédiatement accroché à l’histoire.
Quels sont les autres thèmes que vous aimeriez aborder ?
Nous terminons en ce moment un long métrage, qui est en phase de postproduction, et qui parle de ce retour d’exil, mais avec un regard différent : un retour surréaliste, comme dans un rêve, en lien avec la magie des contes d’Amérique latine. C’est un film à caractère social, très touchant, qui offre un point de vue intéressant sur le silence de la société. Je travaille également sur deux scénarios : un sur ma grand-mère et son long voyage pendant la dictature pour rejoindre sa famille et retrouver un « chez soi » perdu depuis si longtemps, l’autre sur les jeunes générations et la société. Ce sera le portrait d’une dichotomie, des émotions que ressent un protagoniste aux prises avec deux mondes opposés : l’officiel et le clandestin.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Dans ce film, je voulais exprimer un sentiment précis tout en le plaçant dans son contexte historique, mais sans trop en faire, et me concentrer sur le personnage principal et ses souvenirs. En faisant le film, on ne s’est donc pas attardés sur les explications d’ordre contextuel, car on les retrouve dans les sons, les sentiments. Les dialogues sont simples et nous sommes sur un terrain plus émotionnel qu’historique. Je pense que cela a bien fonctionné, car le contexte reste très présent, et la fin est poignante.
En Busca de un Tierno Silencio (En quête d’un doux silence) a été sélectionné encompétition internationale (I3).