Goûter avec La chamade
Entretien avec Emma Séméria, réalisatrice de La chamade
Pourquoi vouliez-vous placer l’histoire dans un camping ?
En fait, le décor n’a rien d’un camping : mon oncle habite sur ce terrain, juste au-dessus de la rivière. J’ai choisi les décors de Touët-sur-Var, un village désert à flanc de montagne qui ne compte pas plus de 700 habitants, pour souligner la solitude de mes personnages mais aussi pour que nous soyons tranquilles et indépendant·e·s, nous, l’équipe du film. La petite caravane de Camélia appartient donc à mon oncle, et c’est cette idée d’héritage qui me plaisait : il était important pour moi que cette fiction soit traversée par la réalité de ma propre famille. De manière générale, j’ai tendance à créer des ponts et des parallèles entre ce que je vis et ce que je crée, entre un film et son processus de fabrication.
Qu’est-ce qui vous a donné l’inspiration pour La chamade ?
Je venais tout juste d’achever mon court-métrage précédent, Les enfants de la baie, avec le sentiment agréable que j’étais là où je devais être. Faire du cinéma me semblait alors miraculeux et simple – et ce, en dépit des risques et des difficultés que j’avais rencontrés dans la mise en oeuvre de mes projets autofinancés. Je me disais que La chamade reposerait sur cette idée-là, sur cette envie spontanée, humble et sincère de réaliser un film, de faire ce que j’aime avec les moyens que j’ai. J’étais aussi très enthousiaste à l’idée de retrouver mon équipe, moins d’un an après notre précédent tournage. Avec La chamade , j’ai eu le sentiment de révéler une facette tendre et lumineuse de ma personnalité. En trois mois, le film était écrit et tourné.
Êtes-vous particulièrement intéressée par la période de la fin de l’adolescence et envisagez-vous de réaliser d’autres films autour de cette période ?
En effet, j’ai beaucoup d’intérêt et de tendresse pour la fin de l’enfance et le passage à l’âge adulte. Les découvertes, les désillusions et, parfois, le sentiment de solitude que cette période charnière suppose m’ont toujours inspirée. Mais le regard que je pose sur l’adolescence n’est pas proprement naturaliste, mon travail ne porte pas sur une représentation particulièrement fidèle de la société. Je montre une jeunesse livrée à elle-même dans un monde où les adultes n’existent pas, je ne pars pas de la réalité pour construire mes personnages, je fais plutôt le chemin inverse : j’invente des personnalités qui me touchent et qui, j’espère, peuvent inviter les spectateur·ice·s à se questionner, à espérer et à rêver. Certains de mes travaux à venir gravitent donc autour du thème de l’adolescence, que je n’ai pas fini d’explorer.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport aux oiseaux que les personnages trouvent sur leur chemin ?
D’un point de vue narratif, les oiseaux me permettaient de faire basculer le récit, de balayer l’intrigue de départ et de ramener le film dans une atmosphère plus grave et plus profonde. Les oiseaux scellent le rapprochement entre les personnages, qui accèdent à une autre forme de communication silencieuse. De manière générale, je voulais que ce film soit un petit testament, un recueil symbolique de ce que j’ai pu vivre, et que d’autres ont vécu, et que d’autres encore vivront à leur tour : je me souviens avoir tenté, petite, de ressusciter des oiseaux, ou avoir enterré un moineau avec mes cousin·e·s, cachée sous les branches tombantes d’un pamplemoussier. J’ai gardé ces souvenirs en moi, je les ai enfouis comme des trésors, et en grandissant j’ai compris que d’autres avaient, comme moi, ces mêmes réminiscences héritées d’un âge où la sensation prime sur la réflexion.
Comment avez-vous trouvé les comédiens ?
Comme pour mon film précédent, j’avais très envie de travailler avec des adolescent·e·s non professionnel·le·s. J’ai posté des petites annonces sur les réseaux sociaux, et parmi les nombreuses candidatures que j’ai reçues tout au long de l’été, j’ai eu un coup de coeur pour les vidéos de présentation de Maïa et Salah, qui n’avaient encore jamais tourné dans un film. J’ai d’abord rencontré Salah, dont l’énergie m’a tout de suite intéressée : il est très pudique, très doux, et il a quelque chose de mystérieux dans le regard. Après beaucoup d’attente et de recherches infructueuses, le mail tardif de Maïa m’est apparu comme un petit miracle, quelques semaines avant le tournage : elle est tout ce que j’imaginais pour mon personnage malicieux et pétillant. Elle a beaucoup d’humour, une spontanéité rafraîchissante.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
C’est très difficile à dire, vu le contexte politique et social… Mais j’ai foi en l’avenir. J’espère sincèrement et je sais que nous verrons émerger de nouvelles voix, d’autres façons de faire du cinéma, plus autonomes, moins calibrées. J’ai fait le pari de tourner mes deux derniers courts-métrages avec mes propres économies, sans l’aide d’aucune institution, et je suis sincèrement convaincue qu’on peut fabriquer un très beau film avec trois fois rien, sinon beaucoup de persévérance et d’amour. Il me semble urgent et nécessaire de démocratiser le cinéma et la réalisation, encore très opaques et cloisonnés, et d’en faciliter l’accès au plus grand nombre, notamment aux personnes qui en sont généralement écartées pour des raisons économiques, sociales et/ou géographiques.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Sans rentrer dans des discussions philosophiques, je ne suis pas sûre qu’il faille échapper à l’ennui. Le confinement m’a surtout appris à ralentir, à prendre le temps de découvrir des cinéastes que je ne connaissais pas – Pedro Costa, par exemple, ou les frères Safdie que j’aime tout particulièrement. Récemment, Atlantique de Mati Diop, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et Sans frapper d’Alexe Poukine m’ont beaucoup marquée. Sorcières de Mona Chollet, En finir avec la culture du viol de Noémie Renard et Noire n’est pas mon métier, ouvrage collectif initié par Aïssa Maiga, sont aussi, à mon sens, des lectures qui invitent à la réflexion et qui font grandir.
Pour voir La chamade, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.