Goûter avec Pas de panique
Entretien avec Wissam Charaf, réalisateur de Pas de panique
Quel a été le point de départ de Pas de panique?
Au départ, c’est l’envie de parler de ce qui est arrivé au Liban depuis Octobre 2019, à savoir une crise économique catastrophique et le mouvement de contestation qui l’a suivi. Ce qui est arrivé au Liban en l’espace d’un an est d’une violence tellement inouïe et tellement vulgaire, à savoir la perte de tous les avoirs financiers des gens, et cela à cause d’une kleptocratie ignoble au pouvoir, que j’avais l’envie de faire un film qui soit à la hauteur de cette violence frontale et vulgaire. Et c’est l’année dernière, à Clermont-Ferrand, où je faisais partie du jury national, que j’ai rencontré Bechara Mouzannar, producteur libanais qui désirait faire une série de plusieurs courts métrages ayant pour thème commun la « Thawra », comme on appelle au Liban le mouvement de contestation. J’ai immédiatement accepté.
Le film est porté avant tout par le duo d’acteur, le « death coach » ainsi que son ancien life coach. Comment avez-vous travaillé avec vos acteurs ? Quelles directions leur avez-vous données ?
Said Serhan et Rodrigue Suleiman ont déja joué dans mon long métrage Tombé du ciel. Ce sont des acteurs très solides, très techniques. Et il y a entre nous une confiance mutuelle. Ils savent que quand ils jouent dans mes films, ça va être un délire total et ça les amuse beaucoup. De mon côté, je sais qu’ils me suivront quel que soit mon délire. Du coup, a part leur donner à lire le scenario, je n’ai pas eu besoin de leur dire grand-chose. Nous avons vaguement répété une ou deux scènes, pour donner le « La » en quelque sorte, entre deux essayages de costumes, la veille du tournage. Les seules directions que j’ai donné, et c’est ce que je fais sur tous mes films, portent sur la vitesse, le ton de certains mots. Mais ils ont tout de suite saisi les personnages et leurs contradictions : un suicidaire qui a peur de la mort, et un fin larron qui joue les sauveurs pour mieux entuber sa victime. Le Yin et le Yang. Je pense qu’à eux deux, ils résument l’état d’esprit du Liban actuel.
Comment s’est passé le tournage, malgré les contraintes dues à la situation actuelle ?
Nous avons eu droit au scenario catastrophe. Nous devions commencer le tournage le 6 août, pour 3 jours. Le 4 août, le port de Beyrouth explose, détruisant la moitié de la ville. Je suis gravement blessé au dos. Mon appartement est détruit, tous nos décors partent en fumée. L’apocalypse… Du coup, l’équipe, les comédiens et moi, nous avons dû repartir à zéro en tant qu’équipe et chacun à son niveau : guérir de nos blessures, fractures, traumatismes, reconstruire nos maisons, puis ensuite recommencer à évoquer la reprise du tournage, refaire les repérages, reconstruire les décors, redemander les autorisations. On a fait le travail deux fois, en somme. Le film a fini par se tourner début octobre.
Tourner Pas de panique dans le contexte difficile actuel, au Liban et dans le monde, c’était une façon de résister, de tenir ?
C’était une façon de retrouver notre dignité, en tant qu’êtres humains comme en tant qu’artistes. Le premier plan que nous avons tourné était celui de Rodrigue Suleiman, a 6h du matin, courant en robe de chambre dans une rue parallèle au port détruit, avec une érection géante, devant des passants médusés. Une petite séance d’exorcisme. L’énergie des 3 jours de tournage était très belle, chacun voulait redevenir acteur, ingénieur son, producteur, assistant. Sortir du statut de victime de l’explosion.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
C’est un format fantastique, car il permet une forme d’expression très différente du long métrage, on tend souvent à l’oublier. Avec l’arrivée en force des plateformes numérique, j’espère que ces dernières y trouveront un intérêt (surement mercantile mais passons…) que les salles de cinéma ont bêtement perdu.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Regarder une intégrale De Funès, lire Georg Trakl, réussir une tarte tatin sans trop brûler le caramel, ranger sa chambre.
Pour voir Pas de panique, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.