Lunch avec La fin du dragon
Entretien avec Marina Diaby, réalisatrice de La fin du dragon
Dans La fin du dragon, vous questionnez la déception et l’incompréhension dans une relation mère-fille. Pourquoi étiez-vous intéressée par le fait de montrer cet échec ?
Je ne suis pas certaine qu’il s’agisse vraiment d’un échec dans ce que raconte la relation de Marianne à sa mère. Il est plutôt question d’un rendez-vous manqué entre cette mère et cette fille, qui se ponctue par l’inévitable disparition, celle de la mère en l’occurrence. C’est une rencontre qui n’a jamais eu lieu et dont il va pourtant falloir faire le deuil.
La mort est un point final qui met fin à cette relation suspendue et par là-même, à tout espoir de transformation de ce lien. C’est cela qui m’intéressait de traiter : La mort ne rend pas les Hommes meilleurs qu’ils n’ont pu l’être, mais elle condamne les relations et les fige pour l’éternité.
Dans La fin du dragon, vous évoquez aussi le fait que les relations de chaque enfant à sa mère sont très différentes. Êtes-vous intéressée par la thématique des relations parent-enfant et pensez-vous réaliser d’autres films autour de cette question ?
Oui, en effet, c’est un point central du film. La question que 3 enfants d’une même mère n’ont, en réalité, pas la même mère. Ils vivent et s’approprient cette disparition chacun avec l’histoire qu’ils ont nouée avec elle, ce qu’ils ont projeté sur leur relation à elle (et vice versa), en plus de composer avec ce qu’ils sont eux-mêmes.
Il y a, je pense, une part importante de fantasme, de non réel, qui m’intéresse particulièrement avec ces 3 personnages. On ne sait pas si cette mère qui meurt est celle que raconte Marianne ou plutôt celle que raconte Angèle. Et finalement, ce n’est pas ce qui nous importe vraiment. Nous appréhendons cette mère uniquement au travers de souvenirs de chacun d’eux. Et le souvenir, ce n’est déjà plus la réalité…
Mon premier long métrage traitera également des relations parents-enfants. Donc oui, je pense pouvoir affirmer être très intéressée par cette thématique !
Dans La fin du dragon, les frère et sœur reconnaissent à votre personnage principal l’échec relationnel qu’elle a vécu. Pourquoi n’avez-vous pas envisagé de leur faire refuser cette réalité ?
Parce qu’elle le vit devant eux et qu’ils ne peuvent que le constater ! Et sans doute aussi parce qu’il y a beaucoup d’amour entre ces êtres dont le seul point commun est d’avoir vécu dans le même ventre.
Pourquoi avoir choisi de faire une comédie sur le deuil maternel ?
J’avais envie de traiter ce sujet, maintes fois traité en court métrage, uniquement si je parvenais à trouver le ton que je cherchais et qui m’intéressait de manier ; Un décalage absurde et donc humoristique mais qui n’entame pas la tragédie liée à la mort d’une mère, quelle que soit la mère qu’elle ait pu être. Le ton change au fur et à mesure que la journée avance, que les masques tombent, que la pantomime s’estompe. Mon but était que le spectateur suive le même cheminement que Marianne, d’abord dans la fuite et l’évitement (qui se traduit par le rire pour le spectateur) pour finalement se rapprocher de l’émotion du drame à laquelle on ne peut échapper dans ces circonstances.
Comment avez-vous imaginé l’environnement assez particulier de cette fin de vie ?
Je voulais situer l’action dans un lieu complétement imaginaire. Je ne voulais pas d’un environnement réaliste, j’ai donc imaginé une maison qui accueille les personnes en fin de vie, un endroit chaleureux, agréable, lumineux, loin de l’imagerie souvent sordide du milieu hospitalier. La singularité du ton du film devait trouver écho à travers la direction artistique et c’est ce que j’ai essayé de trouver avec la chef déco (Charlotte Luneau) et son équipe.
Par ailleurs, le docteur Cornett contribue également à générer cet univers décalé et singulier, ainsi que le chien bien entendu, parabole de ce que l’on cherche à fuir et qui est là à chacun de vos pas.
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Selon vous, les non-dits sont-ils source de souffrance ?
C’est de vivre qui est une source de souffrance ! Ce que l’on dit ou non, quand on le dit, à qui on le dit, ce sont ces choix à faire qui déterminent et qui dessinent une vie finalement.
Avez-vous des frères et sœurs ? Pourquoi étiez-vous intéressée par ce rapport ?
Oui j’ai plusieurs fratries et leurs membres m’ont beaucoup inspiré mes personnages. L’un de mes frères fait d’ailleurs partie de la distribution du film puisqu’il y interprète le docteur Cornett (Lamine Diaby).
Selon vous, peut-on dire quand et si l’on cesse vraiment d’être un enfant ?
Je pense en tous cas que l’on reste l’enfant de ses parents. C’est le principe… Et c’est ce qui rend aussi complexe ces relations. L’ascendance est là pour toujours, comme une ombre avec laquelle on doit composer, quel que soit notre âge.
À l’image de votre personnage principal, le réalisateur doit trouver des chansons et musiques pour accompagner son film. Comment faites-vous vos choix et avez-vous facilement pensé à Jacques Brel ?
Brel s’est imposé à moi car toute sa carrière, il a chanté la mort sur tous les tons, en en riant, en s’en moquant très souvent, avec le talent que l’on sait. J’ai découvert « La ville s’endormait » que je ne connaissais pas, texte dans lequel il évoque le crépuscule d’une vie avec une poésie mêlée d’une lucidité implacable. Le fait est que cette chanson est extraite de son ultime album Les Marquises, album écrit alors qu’il se savait condamné par un cancer. Son appréhension de la fin de vie mute alors dans autre chose de plus sombre, de moins léger mais aussi et surtout de merveilleusement juste et émouvant.
Cette chanson était pour moi exactement celle qu’il fallait au film, parce qu’elle suivait précisément son mouvement : fini de rire, maintenant il faut se confronter à la mort…
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines et la « méga » cellule sociétale ?
Le court est un format que je trouve fabuleux. Il oblige à condenser un sujet, à le sonder pour en atteindre la moelle. Celui-ci souffre mal le superflu, « le gras », et contraint donc beaucoup, tant à l’écriture qu’à la réalisation, où le temps et l’argent sont denrées rares. J’aime ces contraintes qui obligent à aller à l’essentiel, au cœur de ce que l’on veut raconter : le court métrage est une promesse. C’est un exercice formidable et, pour mon expérience personnelle, la meilleure antichambre avant le grand bain du long métrage.
On peut tout questionner en court métrage, il n’y a pas, à mon sens, de sujet non adapté à ce format.
La fin du dragon a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect« français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Je n’ai pas écrit le film en tenant compte de ces « spécificités françaises ». Mais il est vrai que je voulais absolument tourner en Limousin, région où j’ai grandi et dans laquelle j’ai eu la chance de pouvoir tourner mon film grâce au soutien de la région Limousin. Quant à Brel, il est Belge. Voilà qui me donne tout de même une aura européenne!!
Mon 1er film Chacun sa nuit avait également reçu cette qualification de cinéma « très français ».
Je puise beaucoup dans ma propre histoire quand j’écris. Je suis née et j’ai grandi en Normandie et dans le Limousin. C’est sans doute ce qui fait de moi une auteure « très française » !
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Pour voir La fin du dragon, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.
Une rencontre avec Marina Diaby est programmée à la suite de la projection du programme F6 mercredi 10 février à 14h au cinéma Le Rio.