Goûter avec Estate (Été)
Interview de Ronny Trocker, réalisateur de Estate (Été)
Pourquoi vouliez-vous faire un film avec les immigrés clandestins comme sujet ?
C’est une question complexe mais avant tout, je n’aime pas le mot “clandestins”. La plupart des gens traversent la mer par nécessité. Ce sont nos législations qui les poussent vers la « clandestinité ». Le refus des états européens d’autoriser des voies d’immigration plus sûres a contribué à transformer la Méditerranée en une fosse commune. Le concept d’une Europe humaniste et solidaire est ici foulé aux pieds. Le film est né d’un besoin de parler de ce gros, très gros malaise.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport à la plage, à son ambiance familiale ?
Si pour nous, les plages de la Méditerranée sont comme un lieu de pèlerinage à la recherche du repos, de la paix et du bonheur, pour d’autres, il est le premier point de chute dans leur route vers une autre vie, idéalement mieux que celle qu’ils ont laissée de l’autre côté de la mer. Ces jolies plages incarnent une certaine innocence mais la rencontre entre les deux différents visiteurs, transforme les deux.
Comment avez-vous travaillé l’animation et créé cet effet hyperréaliste dans l’animation ? Quelle est la part de présence d’acteurs réels dans l’ensemble du film ?
Les comédiens ont été pris en photo, dans un studio, entourés par une soixantaine d’appareils photo synchronisés. Ce scan à 360 degrés permettait de fabriquer des modèles 3D et d’appliquer une texture photo-réaliste. Une fois les personnages terminés, nous sommes partis filmer la plage avec une camera 16mm. Le seul acteur présent lors de cette étape était le personnage principal, le réfugié. En compositing, les deux éléments furent finalement assemblés.
Comment avez-vous travaillé le son dans Estate ?
Au départ, je me suis imaginé un son purement réaliste, mais après les premiers essais, j’ai compris que ça ne marchait pas avec des personnages figés dans l’image. On a donc commencé à intégrer de plus en plus d’éléments sonores abstraits, pour souligner l’ambiguïté de la temporalité.
Comment avez-vous construit le rythme et la double temporalité du film ?
Le montage était complexe, car j’ai dû commencer l’assemblage sans les personnages incrustés. Le but était de se balader d’abord dans la situation inspirée par la photo originale, et ensuite d’ajouter une deuxième couche narrative, dans laquelle un des personnages prend vie. D’où la présence d’une double temporalité : l’instant de la photo et la durée de la vidéo. C’est une abstraction qui, dans l’idéal, devrait offrir aux spectateurs une nouvelle manière de voir ces images.
Connaissez-vous le principe du Mannequin Challenge et vous a-t-il inspiré ? Comment percevez-vous le rapport au figé de la photographie par rapport à l’animation ?
Non, ça n’a joué aucun rôle pour mon projet. J’avais vu certaines de ces vidéos sur le web, mais c’était après avoir déjà terminé Estate. Mes personnages sont figés, car l’origine du projet est une photo de presse, et je voulais garder des éléments de cet instant figé.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Il y a plusieurs films qui m’ont touché. Pour en nommer un spontanément je dirais La mort de Louis XIV d’Albert Serra.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
J’étais venu à Clermont avec mon dernier court métrage en 2014 (Gli Immacolati, ndlr) et je me souviens d’avoir été très impressionné par la quantité de spectateurs venus voir des films. Voir son film projeté dans la grande salle Jean Cocteau est très émouvant.
D’autres participations sont-elles prévues durant le festival (rencontres, expressos, etc.) ?
Il y a notamment une rencontre prévue avec le élèves du Lycée Blaise Pascal (section cinéma).
Pour voir Estate, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.