Goûter avec Fatiya
Entretien avec Marion Desseigne Ravel, réalisatrice de Fatiya
Un film comme Fatiya donne accès au spectateur à la réalité à laquelle font face les jeunes filles voilées, victimes de préjugés. C’est une réalité qui est assez peu souvent mise en scène, encore aujourd’hui. Y-a-t-il un public en particulier que vous voudriez atteindre avec ce film ?
Je voudrais que le film parle à tout le monde, même à des spectateurs ou des spectatrices qui seraient en apparence éloignés des thématiques abordées. Fatiya est à mes yeux un film de personnages, c’est pas un film sur une fille voilée mais un film avec une héroïne qui porte le voile. J’aime le cinéma parce que je trouve que c’est un formidable moyen pour voir le monde par les yeux de quelqu’un de très différent de soi…
Fatiya est tiraillée entre l’insistance de son amie et la loyauté envers sa cousine. L’amitié féminine est représentée sous divers aspects et tient un rôle important dans votre film. Le film rend il hommage à la sororité ?
Notre société peut être très dure avec les personnes qui ne rentrent pas dans son moule : les femmes, les pauvres, les immigrés, les personnes LGBT+, etc. Face à la violence latente de l’expérience que traverse Fatiya, je crois que la solidarité est essentielle. Je voulais aussi faire un film de femmes, entre femmes, entre soeurs. Malgré leurs disputes, Soukaïna et Fatiya sont avant tout solidaires et aimantes l’une envers l’autre. Au cours de l’écriture, j’ai fait lire le scénario à une amie scénariste, Laure Desmazières, qui présente son film Zaïna46 que j’ai eu le plaisir de co-écrire, à la carte blanche de l’Adami (programme ADA2, ndlr). Elle m’a dit quelque chose de simple mais qui me paraît essentiel pour ce film : “en fait, c’est une histoire d’amitié“.
Dans le film, on réalise l’importance de l’apparence physique chez les jeunes, que ce soit à travers les sorties dans le centre commercial, les appels vidéo ou la manière dont ils sont jugés sur leurs choix vestimentaires. Est-ce un aspect que vous teniez souligner dans le film ?
J’ai un goût prononcé pour les costumes que je choisis en général moi-même avec les comédien.nes. L’habit ne fait pas le moine mais pour moi trouver la tenue de l’actrice est une étape clé dans la recherche du personnage. La question de l’apparence est décisive dans ce que je veux raconter : Fatiya est jugée sur son apparence, sa cousine se définit par son goût pour les fringues, ce qu’on décide de montrer de soi aux autres raconte beaucoup ! J’aime aussi ce paradoxe apparent que j’ai pu constater à nombreuses reprises chez des ados : Fatiya porte un voile plutôt austère mais l’assortit parfaitement au reste de sa tenue, et même à la couleur de ses baskets !
Lyna Khoudri est très convaincante dans le rôle de Fatiya. Comment avez-vous abordé avec elle, et avec les autres acteurs, les questions de la dépossession de soi, des préjugés et du regard de l’autre abordées par le film ?
Pour trouver Fatiya et ses copines, nous avons vu avec Anaïs Duran, la directrice de casting, plus de 150 filles. Lyna s’est imposée dès les premiers essais par sa grande sensibilité. Dans le film, je crois que c’est parce qu’elle parvient à toucher profondément le spectateur que l’on peut embrasser son point de vue sur cette histoire. J’ai commencé par lui raconter d’où venait le film, pourquoi j’avais envie de défendre cette histoire. Pendant 7 ans, j’ai travaillé comme bénévole dans une association de soutien scolaire. J’ai suivi en particulier un groupe de jeunes femmes du début de leur adolescence à l’âge adulte. Certaines d’entre elles, vers 15, 16 ans, ont commencé à se voiler. J’ai discuté de choix avec elles. Cette histoire de baby-sitting avorté est directement inspirée d’une anecdote que j’ai entendue et que je trouvais riche et révélatrice des tensions de notre société. Au cours des répétitions, Lyna m’a confié qu’elle aimait le scénario car il reflétait à ses yeux une vérité, un quotidien, que ses cousines et amies voilées lui avaient, à leur façon, raconté. On s’est donc vite comprises et c’était très simple de travailler avec elle.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
J’ai envie que chaque film soit un nouveau défi, l’occasion d’essayer de nouvelles choses. Le film étant quasiment un huis clos et mes héroïnes étant comme enfermées dans l’univers du centre commercial, on a très vite décidé, avec Lucile Mercier, la chef opératrice, de jouer avec les formats. J’ai choisi d’utiliser les snapset FaceTime pour créer des trouées, des ouvertures dans l’espace confiné du film. Je crois que le format du cadre peut aussi avoir une dimension expressive forte… Lors de la dernière séquence, le cadre passe du 4/3 au 1.85 lorsque les filles arrivent enfin à prendre, littéralement, un peu d’air. Utiliser des formats différents a un côté très ludique mais force aussi à se remettre en question : Un cadre vertical “à la snapchat “oblige à penser et composer différemment, on ne perçoit pas les corps de la même façon, avec la même distance… L’autre question que je me suis posée, c’est comment rendre compte de ce drôle “d’inter-espace“ qu’est celui des échanges virtuels. Dans le film, les filles communiquent sans cesse avec leurs smartphones et Fatiya n’arrive pas à avoir une seconde de tranquillité. J’avais envie d’exprimer à la fois le côté jeune et pop des textos mais aussi leur côté très invasif ! Je suis fascinée par la façon dont des espaces et de temporalités très différentes peuvent se superposer quand on reçoit un texto… On a essayé de traduire ça en faisant apparaitre les messages plein cadre, en surimpression.
Fatiya a été projeté en compétition nationale.