Lunch avec Féfé Limbé
Interview de Julien Silloray, réalisateur de Féfé Limbé
Comment vous est venue l’inspiration pour Féfé Limbé ?
Pendant une séance de répétition de mon précédent court métrage. Pierre Valcy (il avait un rôle secondaire dans ce film) s’est livré à moi de manière assez inattendue. Il m’a raconté son drame marital, la séparation d’avec sa première femme, jusqu’aux larmes. Pierre est un profond sentimental, à l’inverse du cliché antillais. J’ai eu envie de “fictionnaliser“ son deuil amoureux.
Pourquoi avoir créé un personnage aussi doux que Félicien, presque décalé des rythmes modernes ?
Cette douceur vient avant tout de l’acteur qui incarne Féfé. Je connaissais Pierre Valcy avant l’écriture du scénario. Sa douceur me touche et répond peut-être à une sorte de style que je développe, puisqu’elle est déjà présente dans mon précédent court. Elle correspond à la tendresse que j’ai pour ces hommes que je filme, qui ne sont pas des acteurs mais des personnalités fortes que je rencontre au hasard de la vie ou de mes castings sauvages. Quant au rythme, il a posé question dès le début du tournage. Pierre est de plus en plus handicapé de la hanche à cause d’un accident de chantier il y a quelques années. Avec le stress du tournage, ses douleurs étaient plus fortes et tous ses déplacements et gestes s’en trouvaient ralentis. J’ai décidé d’assumer cette lenteur parce qu’elle correspondait au personnage et à son humeur, mais aussi parce que c’était pour moi l’occasion d’expérimenter ce rythme : je n’ai pas de formation en cinéma, j’apprends sur le tas avec mes premiers courts.
Et comment avez-vous trouvé le comédien qui incarne Félicien ?
J’ai fait la connaissance de Pierre Valcy sur un décor de mon premier film tourné à quelques pas de chez lui. Il était venu prêter main forte à l’équipe. J’ai été touché par son charme, l’étrangeté de son regard mélancolique, son rire très particulier et lui ai tout de suite donné un rôle. Nous sommes restés amis.
Pourquoi étiez-vous intéressé par la recherche affective d’un adulte plutôt que celle d’un adolescent ou d’un jeune adulte ?
Les courts métrages et premiers longs sont plutôt portés par les problématiques (affectives) adolescentes. Mais j’ai mis du temps à me raccrocher aux questionnements esthétiques et thématiques des jeunes cinéastes dont j’ai vu les œuvres depuis que je réalise des films. J’ai développé de mon côté une sorte de fascination pour la vieillesse antillaise qui correspond à un monde mystérieux à côté duquel j’ai grandi, mais un peu en distance. J’ai fait de leur univers le centre de mes trois premiers courts, comme un cycle. Mes prochains projets auront pour personnages principaux des acteurs de ma génération.
A l’image, il y a une délicatesse et une mélancolie palpables, comme une prolongation du personnage, pourquoi et comment avez-vous pensé et construit le film pour faire ressortir ces aspects ?
Le ton mélancolique est déjà présent au scénario, il guide toujours mon écriture, notamment pour la fin de mes films. La délicatesse… je dirais que j’essaye de ne pas y aller à coups de gros sabots… mais c’est une règle qui vaut pour tous les réalisateurs. Je ne sais pas trop, je n’ai pas assez de recul ni d’expérience. Au tournage par exemple, c’est un ensemble qui va du choix de l’acteur, de la direction de son jeu, à une mise en scène simple et naturaliste. Et de composer avec des effets sobres en postproduction. J’aimerais faire encore plus sobre. Mais mes erreurs en tournage m’obligent à trop tricher ensuite. Je n’aime pas ça.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de laisser le « dernier choix » au spectateur ? Y aura-t-il une suite à Féfé limbé ?
Il y avait une fin beaucoup plus claire au scénario. Avec effets spéciaux. On l’a tournée, en mode court métrage, donc cheap. Le résultat était ridicule et trop évident. Donc j’ai décidé de rester sur la même logique que mes précédents courts : une fin ambiguë qui joue sur les différences culturelles entre le spectateur créole et le spectateur non créole. J’écris ces scènes dans l’idée que les deux ont conscience des deux fins possibles, ou plutôt des deux « niveaux » de fin : l’une réaliste, l’autre poétique. J’aime à penser, naïvement, que selon leur origine, une interprétation a leur préférence et qu’ils ne font pas le même choix.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Le petit poème de Damien Manivel avec Le Parc. Ma’ Rosa de Brillante Mendoza, branché au réel. Mademoiselle de Park Chan-wook, maîtrise hors-norme. Le lendemain de Magnus von Horn, premier film… génie. Willy 1er de Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier, Hugo P. Thomas… ils ont fait l’école de Besson ? Purée, ils sont bons !
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Deux amies qui n’avaient trouvé ni billet de train ni logement à bon prix, sont venues une semaine au Festival avec le camion-benne de leur père, et voulaient dormir dedans. Y a des gens motivés pour voir des courts.
Pour voir Féfé Limbé, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.