Goûter avec Le Park
Entretien avec Randa Maroufi, réalisatrice de Le Park
Votre film évoque plusieurs polémiques autour de l’usage des réseaux sociaux au Maroc, notamment l’affaire des Tcharmil, ces groupes Facebook où l’on exhibe autant des armes que les derniers vêtements achetés. Qu’est-ce qui vous a intéressée derrière ce phénomène ?
Ce n’est pas le phénomène qui m’a intéressée particulièrement mais le hors-champ d’un ensemble d’images à caractère violent partagées sur les réseaux sociaux.
Je collecte depuis un moment toute image qui m’interpelle, qu’elle soit absurde, banale, violente, une image qui fait le buzz, qui me fait rire ou qui me révolte, m’énerve… dans le but de l’utiliser un jour peut-être (ou pas) dans un travail artistique.
Mon but n’était pas de travailler avec des images d’actualités mais des images d’aujourd’hui, jouer le sentiment du déjà-vu et mélanger la politique et le divertissement. Il y a une dimension contestataire dans l’imagerie collectée et collective et en même temps une forme de renoncement.
Il s’agit aussi d’une réflexion sur nos sociétés, ses ridicules et ses travers, de percevoir la vie de tous les jours telle une mise en scène avec, une scène, des acteurs, un public…
Pourquoi implanter votre récit dans un parc, à Casablanca ?
À travers ce film, j’évoque la ville, son caractère urbain et social. Décrire une ville, c’est aussi décrire en quelque sorte un système politique.
Le choix de reconstituer ces situations absurdes dans un parc en ruine est une volonté de créer un espace parallèle à celui d’Internet. Internet, qui, à la fois permet leurs existences et les archivent. Internet devient un espace public par rapport à cet espace de parc.
On découvre le parc à travers de longs plans séquences, qui semblent dérouler l’envers du décor de ces photos polémiques. Est-ce une manière de prendre le temps, de suggérer la distance face à ces photos souvent prises au premier degré ?
En prenant le temps de tourner autour de chaque image, je tente de transformer et d’interroger les points de vue et les points de corps afin de démultiplier les possibles.
Votre film est t-il aussi concerné par l’affaire du baiser de Nador ?
Quand j’écrivais le film, une des mises en scène allait être celle du baiser de Nador, mais j’ai finalement fait le choix de ne pas la reconstituer et partir uniquement sur une seule catégorie d’images, celle des selfies avec les sabres et les autres mises en scènes ont été une reprise de ce que les jeunes du parc Yasmina vivaient au quotidien, j’ai dû réécrire quand j’ai fréquenté le lieu et les jeunes.
La bande son mélange des infos radio, de la parole directe, et des interviews. Pourquoi entremêler plusieurs instances ?
C’était évident pour moi dès le début que je ne prendrai pas de son direct, je savais que l’image risquait d’être très esthétisante et il me fallait de la matière sonore qui pouvait « pourrir » l’image mais aussi renseigner le spectateur pour avoir plus de clarté sur le sujet.
Un mélange d’interviews que j’ai eu avec les jeunes autour de ces images avant de commencer le tournage, quelques extraits de presse autour du phénomène que j’ai détournés, des sons de vidéos de bagarres sur Youtube, des nappes sonores décalées de l’image qui peuvent garder une tension tout au long du plan séquence, ma voix pendant que je faisais mes repérages, nos discussions pendant les répétitions… Enfin, toute cette matière collectée durant la recherche et l’écriture du projet est venue nourrir la bande sonore du film.
Comment avez-vous rencontré les différents acteurs du film ?
Le parc Yasmina est interdit d’accès au public, on m’a recommandé de ne pas rentrer parce que c’était dangereux, mais comme je me nourris souvent de ma peur, j’ai décidé de sauter les grilles, c’est là que j’ai rencontré mon directeur de casting, un jeune qui squatte depuis plusieurs années le parc, il connaît l’espace par cœur, j’ai sympathisé avec lui, je lui ai expliqué mon projet et lui ai demandé de me présenter des gens, le casting s’est fait au fur et à mesure, il m’a présenté ses amis qui viennent passer du temps avec lui sur place. Au bout de 3 semaines, j’avais un trombinoscope avec les 40 figurants que je cherchais.
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Le Park était diffusé dans les séances de la compétition Labo L5.