Goûter avec Sabine
Entretien avec Sylvain Robineau, réalisateur de Sabine
Comment avez-vous imaginé le film Sabine ? Et comment décririez-vous la femme qui porte ce prénom ?
L’idée a germée après avoir vu les films de mon ami Alban Passot. Ce sont deux courts métrages intitulés Martine et Martine 2.
Dans ces films, on suit un homme en forêt de Fontainebleau, qui semble chercher une certaine Martine. Tantôt il crie, tantôt il témoigne de souvenirs partagés avec elle. C’est un film totalement surréaliste, sans véritable scénario, et qui est pourtant merveilleux.
Arriver à captiver le spectateur durant 10 minutes, simplement avec un gars qui crie « Martine ! » dans une forêt, ce n’est pas donné à tous le monde, ça tient carrément du génie.
J’ai tellement aimé Martine que j’ai voulu lui rendre hommage en imaginant un autre film, qui s’imbriquerait dans celui-là. Je me suis dit qu’en écrivant un scénario autour de ce film qui n’en a pas, ça donnerait quelque chose de totalement inédit.
Je me suis donc lancé dans l’aventure, très excité d’écrire une nouvelle histoire qui s’emboiterait dans l’ancienne, en espérant que la greffe fonctionne.
Sabine est un film rebond, une reprise de volée.
Je ne peux pas vous faire une description détaillée de la Sabine évoquée dans le film, car elle n’existe qu’à travers le personnage principal. Mais s’il devait la décrire, il dirait de Sabine qu’elle a toutes les qualités, puisqu’il l’aime.
Votre personnage ne semble pas prêt à enlever Sabine, ni même à lui déclarer son intérêt de manière directe. Pourquoi étiez-vous intéressé par ces moyens détournés pour se déclarer, par ces amours qui n’osent pas être dits comme les autres ?
Si vous tombez par hasard sur des poèmes qui parlent de vous, vous serez beaucoup plus ému et plus touché que si son auteur vous les avait donnés directement. Une bouteille à la mer, c’est le comble du romantisme.
Et puis je pense que c’est typiquement masculin cette manière de faire, les hommes se révèlent souvent romantiques lorsqu’il est trop tard. C’est lorsqu’ils sont mélancoliques qu’ils chantent les plus belles chansons d’amour, écrivent les plus beaux poèmes, peignent les plus beaux tableaux. C’est en phase de conquête ou de re-conquête qu’ils sont les plus intéressants, lorsqu’ils ont quelque chose à gagner qu’ils déploient des trésors d’intelligence et de créativité.
Le tourment et la mélancolie sont plus cinégéniques que le bonheur.
Comment avez-vous pensé le personnage principal et comment avez-vous procédé au casting ?
Je l’ai envisagé comme un poète moderne, son médium c’est la vidéo. Je suis parti dans l’idée de créer un personnage attachant, et qui soit tourné vers les autres, une sorte d’Amélie Poulain au masculin. Franc Bruneau est parfait pour le rôle, il a le cœur au bord des yeux, son regard est touchant. Il fait partie de ces gens qui n’ont pas complètement quitté l’enfance, et ça se voit sur son visage.
Pour les personnages féminins, il fallait deux excellentes comédiennes pour jouer cette partition dans le bon tempo. Laura Chetrit et Caroline Mounier sont des comédiennes de théâtre principalement, elles ont une rigueur et une capacité d’adaptation impressionnantes.
Le personnage de Nasser est interprété par Nasser Kateb himself, je l’adore dans Martine, sa silhouette efflanquée dans son costume bleu, c’est toute une poésie.
Le personnage de l’homme à la guitare est un gentil looser, maladroit, il sert de contre-point dans la séquence du vidéo club. J’ai demandé à Soy Panday de l’interpréter car je n’envisage pas de faire un film sans lui, c’est mon gri-gri.
Nous sommes avant tout une bande de copains, nous faisons régulièrement des films tous ensemble.
Votre personnage principal fait référence à Godard, aimez-vous les films de la Nouvelle Vague et qu’ont-ils qui vous intéressait dans Sabine ?
Je suis très sensible aux films de François Truffaut, j’aime aussi certains films de Godard. La « Nouvelle Vague » c’est un groupe de jeunes critiques devenus cinéastes qui tournaient avec une énergie et une grammaire nouvelle. Ils étaient très talentueux, mais aussi très dogmatiques, ce qui, je trouve, est une hérésie dans le domaine de la création et du cinéma en particulier. Ils pouvaient avoir la dent dure, injustement parfois, envers certains cinéastes qu’ils ne considéraient pas comme des « auteurs ».
C’est regrettable qu’à travers Les cahiers du cinéma, leur opinion soit devenue parole d’évangile pour beaucoup de cinéphiles et de critiques. Je trouve ça malsain, c’est comme ça qu’on fabrique du snobisme.
Donc si j’évoque Godard dans le film, c’est plutôt pour me moquer de ce snobisme et du manque d’ouverture dont on peut parfois faire preuve, simplement pour paraître ou avoir l’air intelligent. Dire « Si c’est Godard, c’est forcément génial », c’est aussi idiot que de dire, « si c’est Dany Boon, c’est forcément bidon ».
Le personnage de Franc comprend très vite qu’il est face à une jeune femme qui aborde le cinéma avec sérieux, une sorte d’Ayatollah du cinéma d’auteur. Il sait parfaitement qu’il a 9 chances sur 10 de la convaincre s’il évoque Jean-Luc Godard. À l’inverse, s’il évoquait Claude Lelouch, il prenait un grand risque, alors qu’à mon sens le second a fait tout autant de chefs-d’œuvre dans les années 60/70 que le premier (La Bonne Année, Un homme qui me plaît, Un homme et une femme…), seulement il n’était pas aimé des Cahiers.
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Comment avez-vous choisi la musique dans Sabine et pourquoi ces choix ?
Pour les séquences d’ouverture et de fermeture du film, je voulais un thème qui évoque la mélancolie sans toutefois être triste, et qui soit le plus simple et le plus touchant possible. Pour arriver à la simplicité, c’est très compliqué, c’est pourquoi j’ai demandé à Matias Elichabehere de composer la musique. Nous sommes lui et moi sur la même longueur d’ondes, nous parlons autant du scénario que de la musique lorsque nous travaillons ensemble.
La musique de fin est également une chanson de Matias. Il me l’avait fait écouter avant même que j’écrive le scénario, et je suis devenu accro à la première écoute. Je rêvais de l’utiliser pour un générique de fin, c’est maintenant chose faite. Merci Matias pour ce cadeau.
Quelle est votre sensibilité au principe de la mise en abyme ?
Je réalise en lisant votre question que beaucoup des cinéastes que j’aime la pratiquent. En tant que spectateur c’est un procédé que je trouve un peu gonflé, mais qui ne manque pas de saveur lorsqu’il est utilisé à bon escient. C’est vrai que pour le coup, je l’ai franchement pratiqué dans Sabine.
Dans quelle veine faut-il classer Sabine ? Aimez-vous les frères Coen ? Woody Allen ?
Oui j’adore les réalisateurs que vous citez car ce sont des maîtres dans l’art du face à face, tout comme Tarantino, Bertrand Blier, Claude Lelouch ou Claude Sautet. Ce que je préfère au cinéma, ce sont de bons dialogues servis par de bons acteurs. Dans ces cas-là, un champ-contrechamp bien maîtrisé suffit à m’émerveiller. Et puis j’ai un goût tout particulier pour les braquages psychologiques, c’est toujours jouissif de voir quelqu’un prendre l’ascendant sur son interlocuteur, sans même que ce dernier ne s’en aperçoive. C’est ce que fait le personnage de Franc, il arrive à tordre la réalité dans son sens, c’est un illusionniste. En face de lui, les deux jeunes femmes sont arrivées sceptiques, puis sont reparties dix minutes plus tard présidentes du fan club.
Je ne saurais dire dans quelle veine classer Sabine, ce sont les spectateurs les mieux placés pour répondre à cette question, moi j’ai la tête dans le guidon.
Quand vous avez écrit Sabine, vous êtes-vous interrogé sur le concept de réciprocité dans les relations amoureuses ?
La question de la réciprocité des sentiments est largement abordée dans le film, avec Nasser et Martine. J’ai illustré à travers leur histoire quelque chose que j’ai souvent observé.
Si une femme se refuse à un homme, ce n’est pas forcément définitif. Il aura toujours une petite chance de la conquérir s’il fait preuve de pugnacité et de patience. Les femmes sont très sensibles aux preuves et aux mots d’amour. Pour les hommes c’est un peu différent, l’aspect physique interfère un peu plus.
Je suis persuadé que la fin du film serait moins plausible si j’interchangeais les rôles de Nasser et de Martine.
Pensez-vous que l’Amour puisse laisser des espaces de liberté, de vécus sans l’Autre ?
Oui je pense que l’amour peut laisser des espaces de liberté, il peut même créer de nouveaux espaces. Mais pour cela, les deux parties doivent avoir le talent de rester eux-mêmes et de se respecter mutuellement.
Nous vivons nos amours comme nous le pouvons, suivant nos personnalités. Certains s’épanouissent dans la fusion, pour ne faire qu’un (mais lequel ? me direz-vous). D’autres, plus indépendants, ont besoin de conserver leurs espaces, de cloisonner.
D’ailleurs les femmes et les hommes ne vivent pas forcément le couple de la même manière. La fusion est plus féminine je crois, les hommes sont souvent plus indépendants, peut être plus égoïstes aussi.
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Est-ce que L’espoir fait vivre ?
Ca dépend de ce que l’on espère. Mieux vaut placer ses espoirs dans des objectifs ou des ambitions réalisables, sinon l’espoir, au contraire, faire mal vivre, et devient frustration. Il faut viser juste, pas trop haut, pas trop bas, et pour cela il faut se connaître un minimum, être lucide sur soi. Et puis les hasards de la vie s’occupent du reste, voyez le personnage de Nasser, il a eu raison de ne pas perdre espoir.
Avez-vous envisagé un parallèle entre l’attente amoureuse et le deuil, puisque certains épisodes de la série créée par votre personnage touchent aux mêmes émotions : déprime, colère, déni… ?
Oui c’est exact, on peut tout à fait imaginer que Franc soit endeuillé, j’ai d’ailleurs envisagé l’écriture dans cette éventualité, c’est ouvert.
Un chagrin d’amour peut être plus difficile à surmonter qu’un deuil, car en plus de la perte de l’être aimé il y a la question de l’amour-propre qui s’ajoute.
Avez-vous pensé Sabine comme un rituel ? De manière générale, pensez-vous que des rituels culturels peuvent apporter à la construction de soi ou sont-ils plutôt des faux semblants ?
Je ne l’ai pas pensé comme ça mais vous avez raison. D’une certaine manière, pour Franc, la réalisation de films devient un rituel, une croyance. Il a fait un premier film sans penser en faire un deuxième, puis il s’est pris au jeu et le cinéma est devenu sa religion.
Sauf que faire un film, c’est plus qu’être pratiquant, c’est jouer à être Dieu en personne, on décide de tout ce qui se passe à l’intérieur. Tous les réalisateurs connaissent cette expérience incroyable, surtout au montage, de voir naître tout un monde qui sort de leur imagination. C’est d’ailleurs pour ça que la plupart des cinéastes tournent jusqu’à leur mort : faire des films c’est grisant, c’est une drogue dure.
Le plus incroyable avec Franc, c’est qu’avec ses films, il parvient même à changer la vie de ceux qui les regardent. Il est metteur en scène de ses films mais aussi de la vie des autres. Il fabrique des miracles.
Sabine a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Je dois bien avouer que la chose que j’ai le plus considérée en écrivant le film, c’est que je devais faire simple, simple, et encore simple. Pour des raisons de budget, je devais limiter au maximum le nombre de décors, de jours de tournage, etc. Mais ce qui est bien avec la contrainte, c’est qu’elle suscite l’imagination, et la canalise.
Oui, Sabine a quelques caractéristiques typiquement françaises, avec tous ces prénoms, l’évocation d’une certaine cinéphilie… mais tous cela est inconscient, je ne le décide pas à l’écriture. Ma culture est française, j’imagine que mes films le sont également.
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Pour voir Sabine, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.