Dîner avec Guy Moquet
Entretien avec Demis Herenger, réalisateur de Guy Moquet
Votre film donne à voir un sympathique jeune amoureux, portant le surnom de Guy Moquet, qui veut embrasser l’élue de son cœur en public. Comment vous est venue l’inspiration pour ce film ?
Il ne s’agit pas vraiment de l’élue de son cœur mais il s’agit en revanche bien d’embrasser en public. Ce film provient moins des questions liées aux sentiments qu’à celles que je relie à la pudeur, à la publicité, au langage. J’ignore si mes personnages sont amoureux l’un de l’autre, d’une certaine manière je ne me sens pas concerné, je suppose plus une situation que des sentiments.
Pourquoi Guy Moquet ? Est-ce en rapport avec l’histoire de ce jeune homme, fusillé pour ses opinions en 1941 ? Est-ce en rapport avec la sonorité de son nom proche de « Moquait » ?
Les deux ! Le jeune homme fusillé en 1941 a été récupéré politiquement par un président qui voulait sensibiliser la jeunesse à la Seconde guerre mondiale. Il a demandé à des professeurs de lire la lettre que Guy Moquet avait rédigée à ses parents juste avant son exécution. J’imagine juste les jeunes en face d’une telle lecture, j’imagine juste le fossé qui sépare de telles opérations présidentielles de la réalité vécue par l’auditoire, je l’imagine et je le vois se creuser. Mon Guy Moquet est donc un jeu de mot qui opère sur plusieurs fronts : historique, culturel, symbolique, critique. Il renvoie à autant de manières de résister et même de vaincre.
Pour réaliser son fantasme, notre héros et sa dulcinée doivent faire face à de nombreuses pressions sociales imposées par leur entourage. Comment expliquez-vous l’existence de ces pressions ? Pensez-vous qu’il y a des tabous qui font souffrir la jeunesse contemporaine et créent ces comportements, ou ces pressions sont-elles plutôt pour les jeunes une façon de se relier eux-mêmes, ainsi que leurs propres peurs, à l’événement qui va se produire ?
Ce qui m’intéresse, c’est plutôt la manière dont on va pouvoir donner forme à ses désirs. La solution pour le héros est moins alambiquée et moins coûteuse que ce qu’il avait imaginé (un feu d’artifice). La solution qu’il propose est plus profonde et correspond au déploiement d’un autre trésor qui justement relève de l’intime et donc transgresse la pudeur qui est de mise lorsqu’il s’agit d’expression de sentiments. Donc pour répondre plus précisément à la question, c’est dans cette transgression que le geste apparaît fort. Les pressions sont exercées par des personnes trahies qui assistent à l’effondrement de leur système de connivence implicite. Guy Moquet non seulement révèle qu’on ne le comprend pas mais, pire encore, qu’on ne se comprend pas entre nous.
Dans Guy Moquet, vos personnages sont particulièrement sensibles aux films de Walt Disney. Ces films, et l’univers Disney dans son ensemble, ont-ils été particulièrement marquants pour vous ? Pensez-vous que cette référence soit commune à tous les Français ?
Dans le geste de Guy Moquet, il y a une volonté de banalisation, tout le contraire de l’expression “s’en sortir”. Quelque chose comme “être avec”. Pour autant, “être avec” ne signifie pas forcément être du bon côté non plus. La référence à Disney c’est le degré zéro de la référence parce que lorsqu’on sort Disney par la porte il rentre par la fenêtre. C’est à la fois énorme et dérisoire… Ce qui compte ici, ce n’est pas tant Disney que de révéler qu’il y a chez mes personnages une recherche de modèles.
Guy Moquet montre tout l’avant jusqu’au résultat de la démarche entreprise par les héros, mais pas l’après. Comme dans les films de Walt Disney. Pourquoi avez-vous choisi de vous arrêter à ce moment-là ? Et avez-vous imaginé un après ?
L’après c’est aussi le passage de relais au spectateur. La note de fin du film est suspendue, elle porte l’espoir et berce l’illusion de projeter des possibles. On pourrait dire que tout ça c’est du cinéma… mais c’est vrai.
Guy Moquet joue particulièrement sur un aspect des rapports humains, c’est la vulnérabilité dans laquelle se positionne notre héros. En effet, en déclarant ouvertement son attachement, il devient vulnérable devant ceux qui peuvent utiliser cet élément pour l’humilier, à commencer par la jeune fille aimée. En général, avez-vous envie que vos films soient reliés à cette question de la vulnérabilité et de la mise en danger de soi-même ?
Absolument. Je veux, pour le moment et dans la configuration actuelle de mon travail, que les films existent pour montrer des personnages qui s’exposent, qui choisissent de prendre, à un moment, la mesure du monde avec pour seul étalon la force de ce qu’ils ressentent quitte à ce qu’il y ait des conséquences… pour eux et pour leur entourage… des conséquences potentiellement graves ou en tout état de cause « impactantes. »
Pour vous, Guy Moquet parle-t-il précisément aux habitants des Cités ou s’adresse-t-il tout autant aux habitants des beaux quartiers comme à ceux des zones rurales ?
Guy Moquet parle, s’adresse et charme d’un côté comme de l’autre, pas pour les mêmes raisons je crois. D’un côté on est content de s’y retrouver et de l’autre on a aussi un peu honte…
Dans Guy Moquet, le protagoniste exerçant la plus forte pression sur le personnage principal utilise le mot « négro » comme une désignation communautaire incluant des frontières très précises et à laquelle le personnage principal est tenu d’adhérer. Pourquoi avoir choisi de mettre à l’écran ce comportement ?
Wahou ! Voilà de vraies questions. Merci.
L’identification aux figures américaines et donc à l’histoire politique et musicale de ce pays m’interroge. Nos gars parlent français mais s’appellent “négros”, c’est le côté “nigga” dans des prises de parole qui veulent parfois moins dire que jouer ou chanter. Ces types là sont toute la journée travaillés par la forme et le rythme de leur parole…Ils cherchent leur musique, ils vont chercher des références et “nigga” fait partie des figures de leur flow. Ils sont, à leur manière, nos nouveaux yéyés ce qui me fait tendrement et ironiquement rigoler. D’un autre côté et là c’est plus sérieux, il y a une forte conscience d’un “nous” et d’un “eux” et cette conscience n’est pas toujours contre-productive au contraire. Sans trop rentrer dans le détail, je voulais montrer le sens qu’il y a derrière ce qu’on s’approprie. Jouir de prononcer “negro” c’est faire sien le sinistre privilège du passé qui permettait au blanc d’insulter le noir. C’est métonymiquement faire le constat d’une égalité atteinte même si c’est dans la bêtise. Il y a dans cette formule un humour et une insolence follement politique. Il faudrait en discuter avec des psychanalystes, des linguistes, des anthropologues…
Enfin, Guy Moquet fait partie de la production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Je ne suis pas suffisamment calé en court métrage pour répondre à la question. Ce que je sais c’est que, pour avoir étudié en Suisse tout en étant français, la France exerce une certaine fascination…Il y a une formule que j’ai glanée je ne sais plus trop où qui dit que la France c’est le pays ou l’Histoire se fait… On pourrait ajouter ou “se défait” pour refaire référence à un célèbre Suisse. Moi, j’aime bien cette formule et c’est aussi ce que j’attends de la production française…Une attention particulière, très fine, très subtile à la manière dont l’Histoire s’écrit…
Guy Moquet était présenté en compétitions nationale et internationale, il a remporté le prix du public et le prix spécial du jury nationaux en 2015.