Dîner avec Haus
Entretien avec Joseph Amenta, réalisateur de Haus
Pouvez-vous nous expliquer le titre Haus?
Le titre Haus a plusieurs sens liés au sujet du film. Le lien le plus direct avec ce mot est celui de « la maison » – ce que vient de perdre notre personnage principal, Makai, car sa mère a découvert qu’il était queer et des conflits familiaux ont éclaté. Une « maison », et par extension un « chez soi », c’est ce qui manque au jeune Makai et ce qu’il recherche dans le film. Il cherche un « chez-soi », une famille, des gens qui le comprennent. Le mot « Haus » est aussi utilisé en jargon de la culture queerpour désigner un groupe de personnes qui se considèrent comme une famille, non pas en raison des liens du sang mais en raison de leur vécu. Le « Haus of Extravaganza » est un de ces collectifs, particulièrement connu pour avoir brillé au temps des origines de la culture du Ballroom à Harlem. Le titre du film rend hommage à cet univers. Enfin, la culture queers’est approprié le terme « haus », avec l’orthographe allemande, pour désigner quelque chose d’exceptionnel, de percutant, le top du top.
Pouvez-vous nous éclairer sur le concept de Kiki Ball ? Comment avez-vous rencontré les danseurs qui s’y produisent ?
La culture du Kiki Ballroom est une communauté queer alternative issue de la tradition du Ballroom dans les années 1980 à Harlem. Il s’agit d’un événement, à la fois fête et concours, au cours duquel les différentes « maisons » s’opposent dans plusieurs catégories comme le défilé de mode, la danse vogue, le realness, les sirènes de sexe… Ces catégories sont évaluées par un jury et le gagnant se voit décerner un titre de gloire, parfois un trophée ou une somme d’argent. Le Kiki Ball est très proche de cela, mais se joue à plus petite échelle, à un niveau local où les maisons « légendaires » ne sont pas représentées directement. Ces bals sont plus informels, moins stricts, ce qui permet à des nouveaux-venus comme le personnage de Makai de participer sans avoir une grande expérience au sein de cette communauté. La culture du Ballroom permet de gagner en notoriété dans un cercle queer assez restreint, mais c’est aussi un hommage rendu à des personnes marginalisées par d’autres personnes marginalisées. Je suis entré dans ce milieu avec un grand respect pour le mouvement Ballroom. J’ai assisté à des entraînements, durant lesquels je passais des heures à observer, à rencontrer de nouvelles personnes de cette communauté. J’ai participé à des compétitions pour montrer mon engagement auprès de cette communauté. La culture du Ballroom est un milieu très soudé, et les gens peuvent être sur la défensive ou méfiants, je savais donc qu’il fallait prendre le temps de comprendre cet univers avant de le mettre en scène dans un film.
Qu’est-ce qui vous a inspiré le personnage de Makai ?
La vie de Makai est celle de beaucoup de membres de la communauté LGBTQ, surtout ceux qui sont issus de familles immigrées, ou les personnes de couleur. Les jeunes queers sont souvent rejetés par leur parents et doivent s’immerger dans l’univers des LGBTQ pour se trouver une nouvelle famille. Makai est indirectement inspiré de ma propre expérience, et les deux acteurs principaux, Mark Ché Devonish et James Bailey, ont aussi contribué une fois engagés dans le projet. Je les ai recrutés dans la communauté Ballroom, ils n’étaient acteurs ni l’un ni l’autre. Je tenais absolument à montrer l’univers du film et le personnage de Makai de la façon la plus authentique possible.
Pouvez-vous nous parler de votre travail et de vos ambitions en tant que réalisateur ?
En tant que réalisateur, mon but est de continuer à diversifier les histoires de queers que l’on voit au cinéma. Je souhaite sortir des rhétoriques classiques autour du « coming-out » ou des discriminations dans la cour du lycée, auxquelles se résument les films actuels sur les queers. Je veux diversifier cette représentation avec des personnages principaux à l’expression féminine et mettre en avant les gens de couleur dans le récit. Il y a des tas d’histoires qui attendent d’être racontées, et je baigne dans ces histoires au quotidien. Je veux les raconter en utilisant un langage cinématographique qui mette en valeur un vécu authentique, et par extension, susciter des changements sociopolitiques grâce à la visibilité. Je veux rendre hommage à la culture queeret non montrer ma communauté comme victime. Je travaille en ce moment à mon premier long métrage, qui raconte la vie de trois adolescents métis qui font leurs premiers pas dans la culture queer, jusqu’au jour où un décès les ramène à la réalité qu’ils avaient choisi de délaisser. Je suis fasciné par le courage qui se cache dans la société, et par la juxtaposition métaphorique de la splendeur et de la crasse. Je viens tout juste de terminer un nouveau court métrage, Flood (Inondation), avec le Canadian Film Centre. J’espère commencer la tournée des festivals avec Flood à l’été 2019.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Le court métrage permet une extraordinaire liberté d’expression cinématographique. Grâce au format court, la narration est déstructurée par le public et cela engendre de nouvelles formes d’expériences visuelles. Pour un réalisateur, le fait de devoir capter l’attention du public en très peu de temps et avec peu de moyens est un formidable défi, et lorsqu’on y parvient, on obtient quelque chose d’exceptionnel. Pour moi, le court métrage n’est pas seulement un tremplin pour le long métrage, c’est un art à part entière. Je suis fier de mes courts métrages, ils m’ont apporté une immense liberté artistique sans laquelle des projets tels que Haus seraient irréalisables. Voir un festival comme Clermont-Ferrand faire une telle place aux réalisateurs de courts métrages et à leur travail est une chose inestimable dans le monde du cinéma.
Haus a été projeté en compétition internationale.