Goûter avec Hillbrow
Entretien avec Nicolas Boone, réalisateur de Hillbrow
Hillbrow commence par une séquence d’agression de rue dans laquelle il m’a semblé que la personne agressée se laissait faire sans réagir. Pourquoi avoir choisi d’ouvrir le film sur cette séquence ?
Suivre cette personne sur ce parcours urbain permet d’avoir une vue d’ensemble sur ce quartier Hillbrow. On y voit des abris bus sécurisés, des églises, des poules, des gars qui bricolent leur voiture… le plan se clôt par une agression, oui : la victime, une fois plaquée au sol, ne bouge plus, car l’agresseur en appuyant fort sur le larynx, provoque son évanouissement, ou sa mort. C’est une technique de combat !
Après cette séquence, Hillbrow poursuit son cheminement dans les rues du quartier avec un très long travelling. Comment avez-vous mis en place ce dispositif ? Quel système avez-vous utilisé du point de vue technique ?
Je voulais retravailler avec Chris Vermaak. Je lui montrais des dessins et des photos que j’avais faits des parcours, et nous allions systématiquement ensemble sur les lieux pour rechercher les possibilités techniques. Nous avons tout filmé avec un appareil photo, mais l’un de ses nombreux talents est de maîtriser le steadicam.
Déjà l’un de mes précédents films, Les Dépossédés (2013), comportait des plans séquences. Pour moi, c’est un moyen d’évacuer le problème du montage, et de penser l’intégralité du rythme de chaque plan avant de tourner. Et j’aime quand le tournage devient une performance. Cela me ramène à mes premiers films qui n’étaient que des tournages.
Sur le tournage il y avait 5 techniciens (cameraman, pointeur, machiniste, ingénieur son, percheman), 2 bad boys (fournis par la mafia qui s’occupe de la sécurité du quartier), 2 fixeurs, mon fidèle assistant Romain Flizot et moi.
Chaque séquence commence et finit par un plan fixe. Philippe Rouy et moi, lors du montage, les avons ensuite combinées. C’est à dire que nous avons trouvé les bons raccords entre les plans et donné du sens à la structure globale
Comment avez-vous eu envie de tourner sur ce quartier de Johannesburg ?
En septembre 2012, j’ai fait un workshop Eat My Dust, un atelier cinéma pour les jeunes, basé dans le township de Kliptown à Soweto. Pour réaliser un plan séquence, nous avons fait appel à un « steadicamer », Chris Vermaak. Rencontre décisive pour la suite.
Durant ce premier séjour, j’ai eu le temps de découvrir plusieurs quartiers de Johannesburg. J’ai marché une journée dans Hillbrow et ai senti un potentiel cinématographique : la structure labyrinthique et la densité du lieu m’ont inspiré. L’aspect mouvant du quartier aussi. Qui s’est confirmé au tournage : à chaque prise de vue d’un même plan, la rue était différente.
Les maisons de Hillbrow semblent toutes communiquer comme à travers des galeries sans fin… Avez-vous découvert ce dédale en vous laissant entraîner par hasard ou vous êtes-vous référé à des plans ou via un guide pour les explorer ?
Pendant le repérage, j’ai beaucoup marché, j’étais accompagné de jeunes du quartier, et je cherchais à en voir un maximum. Je leur ai demandé de m’emmener sur les toits des immeubles, les caves, les squats, je voulais atteindre le cœur du quartier, ou tenter d’épuiser le potentiel cinématographique du lieu. Et j’ai trouvé des labyrinthes en quantité. L’expérience du repérage est très proche de celle du tournage.
Quand vous avez préparé Hillbrow, avez-vous collecté des témoignages d’habitants ? Pourquoi ne pas avoir donné à entendre leurs voix ?
A Johannesburg, j’ai rencontré Marcus Mabusela qui monte des pièces de théâtre avec des junkies et prostitués de Hillbrow et il est devenu l’un des fixeurs (guides pour aborder le quartier) du film. Avec lui, j’ai visité la maison squattée du film et rencontré ses habitants. Rapidement, j’ai fait le choix de ne pas les diriger. Moins je leur en disais, mieux c’était. Le scénario ne comportait aucun dialogue, mais ils se sont mis à parler spontanément, c’était bien.
Dans Hillbrow, on voit certains jeunes s’enrichir au détriment de leurs concitoyens. D’où viennent ces enfants ? Pourquoi n’ont-ils ni parents, ni encadrement par la ville ou le pays ?
Dans le quartier d’Hillbrow, il y a une rue où les enfants dorment. J’ai déplacé ce lieu à cette maison inachevée. C’est le soir, ils vont se coucher. D’où viennent ils ? On n’en sait rien, c’est hors champ. Ils rentrent peut être d’une journée de travail ?
Dans toutes les scènes, les personnages, les lieux, les actions, les accessoires sont légèrement amplifiés, projetés dans un univers plus onirique/fictif. Les acteurs, des habitants du quartier, sont très peu dirigés, ils ont une interprétation flottante ou le costume qui leur est attribué peut jurer avec leur rôle.
Parfois, l’action a été mutée dans un autre lieu. Par exemple, les nombreux récits collectés de hold-up lors du repérage du film, sont transposés dans un cinéma. Les accessoires, parfois excessifs, aident les acteurs à trouver une position d’interprétation et permet au scénario de se développer. L’architecture des lieux fait circuler la lumière naturelle, et augmente l’effet d’étouffement dont semble souffrir les personnages.
Les skaters surjouent leurs rôles, prennent possession du contenu de sacs à mains volés : des cigarettes qu’ils allument et des billets qu’ils empochent, avant de trouver refuge dans un club de boxe. Le voleur de l’épicerie, par son physique musclé, ne semble pas affamé bien qu’il vole des boîtes de conserve. Il apparaît plus comme un joueur qui jouit d’observer ceux qui le pourchassent. Au fond du parking, un type vient chercher un sachet plastique jaune caché dans un sous sol à l’apparence lunaire, le type vérifie le contenu du sac avant de disparaître dans une cage d’escalier. Situation que l’on pourrait retrouver dans bon nombre de films d’action, ici prétexte à un parcours cosmique. Dans le cinéma, les « ouvreuses » sont remplacées par des braqueurs.
Dans le stade, le vieux tient son fusil comme le patriarche tient son bâton, avec l’énergie qu’il lui reste, il cherche un endroit pour mourir, s’assoupir, il monte un dernier escalier pour se cacher un peu plus.
Ce stade, symbole de l’effort, du fair play et de l’espace accordé à la jeunesse semble oublié comme un château lointain dans les contes de fées. Il semble physiquement abandonné. L’avez-vous trouvé dans cet état ou l’avez-vous mis en scène ?
C’est le stade qui a été construit à l’occasion de la coupe du monde en 2010, mais il est déjà vétuste ! Du haut du stade nous avons un beau point de vue sur Hillbrow.
Dans Hillbrow, on voit un parking abandonné rempli de ruines. Il semble effondré ? Quelle est l’histoire de ce bâtiment ?
Ce bâtiment est la tour Ponte. On aperçoit la tour de l’extérieur 3 fois dans le film. Elle a été construite dans les années 80, c’est un rêve d’architecte qui n’a jamais fonctionné. Elle comprend 400 logements. Aujourd’hui elle est en partie squattée. Cette tour creuse est construite sur un rocher, et dedans, on a réellement l’impression d’être dans une caverne moderne.
Dans vos scènes de rue, on aperçoit des blancs, mais dans l’action, seules les personnes à la peau noire sont à l’écran. Pourquoi avoir pris cette décision ? Est-ce un choix engagé ?
Hillbrow est un quartier où toute la population est noire, il n’y a plus de blancs.
Alors que vous montez jusqu’aux toits, les attitudes de vos personnages sont de plus en plus gênantes et inacceptables. Hillbrow donne l’impression que plus on monte vers le haut, plus on descend dans le respect de son prochain, jusqu’à ne plus en avoir du tout. Est-ce un effet voulu ?
Oui, une vision transversale même. Chaque plan trace une ligne et le tout finit par former un portrait, voire une empreinte du quartier. Les lignes suivent reliefs, accidents du terrain et niveaux d’architecture… se font courbes, couloirs, escaliers, spirales, zigzags… Le film monte et descend sans cesse.
Enfin, Hillbrow est une production française. Pourquoi avoir fait appel à une production française pour ce film ? Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Hillbrow est produit par Tournage 3000 qui a produit tous mes films jusqu’à maintenant, et qui me permet de faire mon film en toute liberté d’écriture et réalisation.