Breakfast avec How to Breathe in Kern County (Bol d’air dans le Comté de Kern)
Entretien avec Chris Filippone, réalisateur de How to Breathe in Kern County (Bol d’air dans le Comté de Kern)
Où le film a-t-il été tourné ? Comment avez-vous choisi et trouvé les lieux de tournage ?J’ai d’abord tourné dans le sud de la vallée San Joaquin, en Californie, principalement dans le Comté de Kern, une région agricole et poussiéreuse, et dans la ville de Bakersfield. Cette région renvoie une image de la Californie que beaucoup ne connaissent pas, sans les plages et les palmiers qui caractérisent en général la Californie dans l’esprit des gens. Mon travail de pré-production a surtout consisté à sillonner la région en voiture pendant plusieurs jours, à observer les différents paysages et à parler aux gens qui vivent dans ces espaces. J’ai fini par demander à un type qui vendait des légumes : « Que font les gens pour se distraire par ici ? » et il m’a répondu : « On fait des rodéos routiers tous les samedis soir. » Après avoir vu un de ces rodéos automobiles, je me suis dit qu’il y avait matière à faire un film.
Avez-vous été inspiré par la différence entre gagner sa vie et vivre sa vie ? Avez-vous d’autres projets qui abordent ce thème ?
Oui, c’est une idée qui m’intéresse beaucoup, et surtout ce que signifie être libre. Je ne parle pas de la liberté par l’acquisition (la liberté de posséder ou de faire quelque chose), mais de la liberté inversée : se libérer « de » quelque chose. Ici, il s’agit de cette sensation de relâchement après une semaine de dur labeur dans les champs, au garage ou à l’emballage et la vente de produits. Je termine actuellement un film sur les prisonniers qui quittent chaque jour une prison du Texas en liberté conditionnelle, je montre leurs premières heures dans le « monde libre », qui s’avèrent en général plus compliquées que prévu sur le plan émotionnel. C’est effectivement un thème qui revient chez moi.
Comment la voix-off a-t-elle vu le jour ?
En phase de pré-production, quand je prospecte et que j’aborde les gens, je prends en note tout ce qu’on me raconte. Comme un monteur, je m’amuse à recouper ces relevés langagiers pour y trouver un tronc commun autour duquel s’articulent des émotions. Quand j’ai commencé ce travail, mon directeur de production, Erin Kökdil, m’a mis en contact avec deux immigrés guatémaltèques qui travaillaient dans le coin et qui avaient envie de participer ; nous avons donc pris ces textes pour qu’ils les enregistrent en voix-off. L’écriture de cette voix-off s’est donc faite de manière peu conventionnelle, c’était une sorte de recherche du langage plutôt qu’une rédaction traditionnelle. C’est une collaboration, mais pas dans le sens classique du terme.
Vous n’avez pas eu envie d’enregistrer les gens que l’on voit sur les images pour qu’ils parlent de leur vie quotidienne (ou nocturne) ?
Dans le documentaire, surtout aux États-Unis, il y a une dictature de l’interview intercalée. Cette méthode est utile pour donner des informations, mais n’a pas le regard artistique ou esthétique que l’on recherche lorsqu’on veut accéder plus profondément à ce que sont les gens derrière leurs discours superficiels. En passant du temps sur place en compagnie des fans de course de rue et des gens que l’on voit dans le film, j’ai fini par trouver une manière de canaliser leur vécu, dans une forme qui n’est peut-être pas très pédagogique, mais qui transmet plutôt un ressenti. C’est cela qui compte à mes yeux.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Il est indéniable que le format court permet d’expérimenter dans une plus grande mesure que dans un long métrage, où il serait difficile de garder le spectateur en haleine. En cela, les courts métrages proposent une vision du monde totalement nouvelle et différente, sans avoir recours aux méthodes traditionnelles de récit. Pour moi, c’est ce qui fait tout l’intérêt du court métrage : je peux m’appuyer sur d’autres éléments artistiques que le récit pour explorer tel ou tel sujet.
Quelles sont vos références ?
Pour ce film, je me suis intéressé à plein d’œuvres différentes, mais surtout les courts métrages de Pablo Briones, qui arrive si magnifiquement à restituer l’ambiance d’un lieu dans ses films A Barca et Au bord de Lisbonne. Le film de Martin DiCicco, All that Passes by through a Window that Doesn’t Open, m’a toujours beaucoup inspiré, surtout sa façon de parler du travail besogneux dans ce qu’il a d’implicite, au-delà son côté purement physique. Je m’intéresse aussi aux arts visuels à caractère ethnographique, à la façon dont le mixage sonore peut donner à un film des airs de comédie musicale.
Pour voir How to Breathe in Kern County (Bol d’air dans le Comté de Kern), rendez-vous aux séances du programme L4 de la compétition labo.