Dernier verre avec Hurlevent
Entretien avec Frédéric Doazan, réalisateur de Hurlevent
Dans Hurlevent, les signes, chiffres et lettres, d’un livre, emportés par le vent, s’assemblent pour prendre la forme de différentes figures. Est-ce une façon d’évoquer les pouvoirs du langage, ou de la poésie ?
Je voyais plus ça comme si le langage prenait vie. Un souffle qui anime, qui provoque une réaction en chaîne. Les langues du monde se voient personnifiées par des petites créatures Alphabets qui prennent leur envol face à un vent furieux. C’est d’une certaine façon comme une allégorie où l’on voit les alphabets, les langues et les cultures se construire et lutter avec hargne pour leurs survies. On les observe s’adapter, se métamorphoser, s’entrechoquer, s’entraider…
La présence centrale du vent est-elle un moyen d’évoquer, une puissance de transformation, de changement, ou encore d’évoquer quelque chose d’insaisissable, de fuyant ?
Je trouvai intéressant de donner au vent le rôle du narrateur. Un narrateur malgré lui. Le vent provoque la vie. Le vent malmène les petites créatures Alphabets lorsqu’il envoie ses rafales. Et si le vent s’arrête de souffler, l’histoire se fige… Le vent donne le rythme du film. Il est insaisissable car on ne se sait ni pourquoi il souffle, ni d’où il vient. Il est implacable car il perturbe sans relâche ces petites créatures Alphabets. Il est créateur, il est destructeur. Le vent serait un peu à l’image du temps. Le vent passe,on le subit, on le contre, on essaye de déjouer ses rafales pour tenter d’atteindre l’éternité.
Quelles techniques avez-vous utilisé pour réaliser Hurlevent et en quoi s’accordent-elles au sujet du film ?
Toute l’animation est uniquement faite à base de typographies. J’avais été inspiré par les tableaux de poésie visuelle de Hart Broudy. On y voyait des formes saturées de typographie qui me faisaient penser à de curieuses créatures abstraites faites de mots. J’avais envie de donner vie à ces créatures, de les animer. Et la technique du flipbook s’est assez vite imposée d’elle-même. Hurlevent est un flipbook géant, non pas effeuillé par le pouce d’un humain, mais par le souffle du vent. Techniquement, j’ai d’abord crée toute mon animation de typographie sur ordinateur avec After Effects. J’avais ensuite l’idée folle d’imprimer chaque image de mon animation et d’en fabriquer un livre que je comptais prendre image par image. Mais j’ai vite déchanté quand je me suis rendu compte qu’il me faudrait imprimer et relier un livre de plus de 7000 pages… J’ai donc incrusté numériquement toute mon animation sur un livre vierge que j’avais pris en stop motion en train de défiler page après page. Même si je me suis épargné l’impression d’un livre de 7000 pages, j’ai accumulé sur ce projet près de 10 000 calques sur After Effects…
Vous avez plusieurs courts métrages à votre actif, dont Supervenus qui a connu un grand succès en France et à l’étranger. Quels sont vos projets, quels thèmes ou quelles techniques avez-vous désormais envie d’explorer ?
J’ai toujours plein de projets en tête. Des gros et des petits. Aussi bien des projets de films débiles qui me font marrer que des films plus poétiques qui me font rêver. J’aime bien alterner entre ces deux extrêmes, ça donne un bon équilibre créatif. J’aime plutôt l’idée de continuer d’explorer de nouvelles techniques. En ce moment, c’est le collage. Je finis actuellement un petit film improvisé en collage un peu surréaliste où un pivert aux allures de Godzilla fait face au monde des hommes… On est loin de Supervenus ou de Hurlevent.
Je suis également très ouvert à l’idée d’expérimenter de nouveaux médiums, comme la performance audiovisuelle, les installations vidéo et pourquoi pas le documentaire. Dans tous les cas, mon envie est toujours de livrer à travers mes créations une véritable expérience visuelle et sonore. Quelque chose de plus basé sur le ressenti que sur l’intellect, plus sur le sensoriel que sur l’intrigue.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Oui ! C’est un format qui, bien que court, offre des possibilités infinies. Je ne le considère d’ailleurs absolument pas comme un “petit“ long métrage, c’est clairement pour moi un format à part entière. Un peu comme un mix entre un laboratoire d’expérimentation et une cour de récréation. Une autre liberté que j’ai avec ce format, c’est que je peux autoproduire mes films. Jusqu’à présent, j’ai toujours fonctionné comme ça. Je fais mes films en autonomie, avec débrouillardise, des petits budgets, et une équipe ultra réduite… Pour Hurlevent par exemple, nous ne sommes que deux à avoir travaillé dessus : Vandy Roc pour le sound design et moi-même. C’est assez jouissif de se dire qu’on peut faire des films en toute liberté avec des tous petits moyens comme ça. Et pour mes projets plus ambitieux qui demanderont sans doute une production, je crois qu’on est plutôt bien lotis niveau liberté avec le nombre d’aides et de résidences de création.
Pour voir Hurlevent, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F3.