Breakfast avec Je sors acheter des cigarettes
Interview de Osman Cerfon, réalisateur de Je sors acheter des cigarettes
J’ai lu que le film avait été sélectionné au festival de Locarno sur copie de travail, c’est assez rare. Avez-vous pressenti dès le départ un réel engouement se créer autour du film ?
C’est toujours difficile de juger. Certes j’ai des bons retours sur mon film, et il a déjà été programmé dans quelques festivals assez prestigieux. Mais en général, ceux à qui le film déplait ne viennent pas vous le dire en personne.
L’émotion est bien présente dans le film mais elle intervient par des moyens détournés. On sent une volonté de ne pas dicter au spectateur son ressenti : c’était important pour vous, de ne pas tout expliciter ?
Absolument. D’ailleurs, je ne sais pas si l’émotion pourrait naître chez un spectateur si on tente de lui imposer. Je ne juge jamais mes personnages, je laisse toujours au spectateur le choix de le faire ou pas. Pour moi l’émotion est quelque chose d’assez mystérieux, pendant très longtemps j’ai pensé que c’était même quelque chose dont mes films seraient à jamais dépourvus. Lorsque je travaillais sur le scénario, j’ai fait lire une version à un ami scénariste. Celui-ci m’a pointé, à juste titre, des choses à retravailler, mais il m’a aussi dit avoir été ému à la lecture. Passé la surprise de ce retour, je me suis dit que ce serait dommage de perdre ça en route lors de la concrétisation du film… C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je me suis dirigé vers une mise en scène et un graphisme un peu moins synthétiques que d’habitude, autorisant plus facilement le spectateur à s’identifier aux personnages du film.
L’animation permet de donner forme au manque et à l’imaginaire du personnage, à travers l’omniprésence incongrue de cet homme dans l’appartement, notamment. Que pouvez-vous nous dire sur le choix de cette tonalité décalée voire légèrement surréaliste ?
Avant même de savoir précisément de quoi le film allait parler, j’avais déjà une tonalité en tête. Plutôt floue au départ, mais qui s’est affinée au fur et à mesure de l’écriture et de la préparation du film. Ça a été une sorte de canevas. Une sensation qui oscille entre le fantastique, le film noir, la comédie sociale… J’ai rapidement pris conscience que ce serait un travail d’équilibriste, de faire cohabiter ces différentes tonalités, mais finalement cela n’a pas été si compliqué car tout s’est mis en place de manière assez instinctive. Je crois que cette sorte d’ambivalence fait partie de mon caractère dans la vie de tous les jours… Par exemple, j’ai beaucoup de mal avec les QCM, je me sens toujours assez frustré quand je ne peux nuancer mes réponses. J’aime les choses mouvantes, et difficiles à saisir… Je suis assez touché que vous employiez les mots “omniprésence“ et “manque“ dans la même phrase. Car c’était une des ambitions premières du film : décrire l’omniprésence d’une absence.
La thématique du film, l’absence, est un sujet universellement partagé. Quel regard portez-vous sur la visibilité du court métrage, parfois circonscrit à un public assez restreint ? Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
C’est justement cette visibilité “restreinte“ qui, je pense, permet cette liberté de ton. Ceci vaut en pour le cinéma en général, mais probablement encore plus en animation. Les contraintes techniques (donc économiques) nécessaires à la fabrication d’un film d’animation sont tellement importantes, et les a priori, quoi qu’on en dise, encore très présents concernant ce médium, que le format court, de par sa confidentialité peut être considéré comme une sorte de refuge… Je me demande d’ailleurs parfois, si je n’aurais pas dû en profiter pour prendre plus de liberté. Et puis il y a tout de même des festivals qui projettent des courts métrages dans presque tous les pays du monde, donc j’aurais tendance à relativiser le terme restreint… Lorsqu’il est bien distribué, on a quand la possibilité que le film soit vu par beaucoup de gens différents.
Je sors acheter des cigarettes a été projeté en compétition nationale.