Breakfast avec Jonathan’s Chest (Jonathan dans la nuit)
Entretien avec Christopher Radcliff, réalisateur de Jonathan’s Chest
Comment vous est venue l’idée de Jonathan’s Chest ?
L’idée de Jonathan’s Chest m’est venue alors que je faisais des recherches sur des disparitions d’enfants – une sorte de paranoïa a sévi dans toute l’Amérique à partir des années 1980, les gens flippaient à l’idée que leurs enfants se retrouvent à la merci de pervers ou d’autres menaces invisibles. Qu’elles soient justifiées ou non, ce sont ces craintes et les perceptions mentales qui en découlent, ainsi que la question de savoir quand la réalité rattrape nos pires cauchemars, qui m’ont poussé à raconter cette histoire. Je voulais voir si je pouvais exprimer cela dans un film très simple et très court.
Aviez-vous déjà abordé les thèmes de la folie et de l’angoisse ? Est-ce que ce sont des thèmes que vous aimez traiter ?
Oui, j’ai déjà travaillé sur ces thèmes dans le passé, de façon assez proche dans mon court métrage The Strange Ones (Deux inconnus), qui est passé à Clermont-Ferrand en 2011. On y retrouvait cette idée de puissances obscures qui menacent la tranquillité de la vie normale, et la peur que nous ressentons à nous demander si ces horreurs peuvent réellement se passer ou si elles ne sont que fiction. J’aime m’aventurer sur ce terrain car il reflète une perception fascinante de la réalité – un manque de clarté doublé de l’idée très troublante selon laquelle notre monde a un côté fondamentalement inexplicable.
Pour Jonathan’s Chest, avez-vous étudié les compétences que développent les parents en temps de guerre ou de crise pour protéger leurs enfants ? Si non, comment avez-vous abordé ces compétences et les raisons de leur existence ?
Je n’ai pas vraiment étudié, pour les besoins du film, les compétences parentales ni les réactions des parents face à une situation de crise, mais c’est un sujet fascinant. Prenons le personnage de la mère dans Jonathan’s Chest, par exemple : pour la décrire, je me suis appuyé sur ma conception instinctive de ce que traversent les parents d’un enfant qui commet, ou pourrait commettre, un acte violent. Quelles méthodes déploient-ils alors dans leur relation à leur enfant ? Et plutôt que de traiter le sujet dans le contexte d’une crise ouverte ou d’une guerre, j’ai voulu imaginer une situation de tension familiale où la crise est imminente, elle couve sous la surface des choses, et la difficulté des parents qui doivent vivre avec ça.
À mon sens, Jonathan’s Chest parle d’une frustration que l’on connaît tous : accepter qu’on n’est pas tout-puissant. Et la frustration qui découle du fait que nos attentes doivent s’adapter aux lois et aux règles de la société. Par exemple, lorsqu’on désire quelque chose qu’on n’a pas les moyens d’acheter… Avez-vous ressenti des frustrations lors de l’écriture et la réalisation de Jonathan’s Chest ?
J’aime beaucoup cette interprétation du film. Je suis d’accord pour dire qu’il y a ce thème sous-jacent de la frustration liée à notre désir de choses impossibles, hors de portée, voire inatteignables. Des frustrations en faisant le film, oui, j’en ai eu, la principale étant sans doute le manque d’argent et de temps. Le tournage s’est déroulé en seulement deux jours et demi, et parfois j’avais le sentiment qu’on bâclait un peu certaines scènes alors que j’aurais aimé peaufiner certains passages ou aspects du film.
Que pensez-vous de ces trentenaires qui vivent encore chez leurs parents, qui ne prennent pas leur indépendance ?
C’est une situation de plus en plus courante, non ? Je pense qu’il y a des facteurs sociaux qui l’expliquent, mais pour moi, les raisons internes pour lesquelles on choisit de rester dans cette situation insulaire, quasi-fœtale, sont fascinantes à décortiquer. Je pourrais l’appliquer au personnage de mon film, Alex, qui vit lui-même dans un cocon, et qui a peur de l’inconnu mais tout en étant malheureux de cette vie confinée chez lui. La tension qui existe entre son manque d’épanouissement et sa peur face aux possibilités du monde extérieur est un sujet dans lequel je me retrouve personnellement.
Êtes-vous sensible aux injustices et à la terreur des dictatures, dans lesquelles un individu impose aux autres sa vision des choses ?
Bien sûr. Cette sensibilité est un élément essentiel à mon avis, et comme on la retrouve dans Jonathan’s Chest, ainsi que dans mon film précédent, The Strange Ones, je pense que c’est ce qui me pousse à parler des jeunes ou des enfants. Ils sont si souvent confrontés à des situations qu’ils ne maîtrisent pas, où ils doivent se plier à la volonté d’autrui ou aux circonstances, que ce soit leurs parents, l’école ou autre chose. Cette sorte de tyrannie douce est un aspect de l’enfance qui me fascine et me touche. Tout ce que doit faire un enfant pour s’adapter aux circonstances, ou s’en défaire, et ce qui les attend de l’autre côté s’ils se jettent à l’eau – tout cela m’intéresse vraiment.
Allez-vous écrire d’autres films qui parlent des jeunes ou qui montrent le monde à travers le regard d’un jeune, comme dans Jonathan’s Chest ?
Oui, j’ai l’intention de continuer à raconter des histoires du point de vue des jeunes. Je trouve que la jeunesse a quelque chose de mystérieux et de stimulant qu’on ne retrouve pas vraiment à l’âge adulte… C’est un point de vue qui peut être très sombre, du moins en ce qui me concerne, mais aussi très beau. Les idées qui me viennent abordent toujours cela d’une manière ou d’une autre, et j’aimerais continuer à faire des films qui traitent avec respect et sérieux les émotions et les problèmes de la jeunesse, et qui racontent à la fois la souffrance et la beauté qui constituent le monde quand on est jeune.
Jonathan’s Chest a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
D’après mon expérience, la production française est très respectueuse du réalisateur en tant qu’auteur, et du format court métrage en général. Le court métrage est reconnu comme un art à part entière, ce qui n’est en général pas le cas dans les autres pays. On prend les courts métrages au sérieux et on est ouvert à leur côté foncièrement expérimental. Et, contrairement aux autres pays, on ne voit pas le court métrage comme un simple prélude à la réalisation de longs métrages, comme une sorte de brouillon. Et ça fait du bien.
Pour voir Jonathan’s chest, rendez-vous aux séances de la Compétition nationale F1.
Linfo en + Le film a été sélectionné dans de nombreux festivals : Sundance 2014, SXSW 2014, Tokyo Short Shorts 2014, International Kurzfilm Hamburg 2014, Alcine 2014, Festival du court métrage européen FEC 2015.