Lunch avec Kaltes Tal (La vallée froide)
Entretien avec Florian Fischer et Johannes Krell, réalisateurs de Kaltes Tal (La vallée froide)
Qu’est-ce qui vous intéressait au premier abord : le cycle de la chaux ou son esthétisme en tant que poussière blanche couvrante ?
Nous en sommes venus à ce sujet à cause de notre dernier film Still Life. Nous avions tourné une partie du film autour d’un lac qui a été créé par une mine de chaux désormais fermée. L’eau était ainsi d’une couleur bleue caribéenne à cause du PH alcalin, et le sol était dénué de vie aquatique, ni poissons ni plantes et simplement, il était entièrement recouvert de cette poussière blanche. C’est ainsi que nous avons découvert ce tableau naturel tout à fait exceptionnel. Quand nous avons tourné ce film, nous sommes entrés dans une mine encore en utilisation autour du lac bleu, c’est là que nous avons retrouvé la poudre blanche, elle recouvrait les feuilles des arbres. Et à l’issue de nos recherches, c’est le chaulage de forêt qui s’est imposé à nous comme sujet.
Pourquoi étiez-vous intéressés par l’intégration de séquences au ralenti et comment les avez-vous créées ?
Si vous voulez, la chaux est à la fois protagoniste et antagoniste. C’est pourquoi il était très important de lui donner un espace et un temps spécifiques. Par exemple, l’explosion dans le puits de chaux : elle décrit le début du « cycle » de la chaux et en même temps sa fin, c’est pourquoi on voit les nuages calcaires qui s’étalent après l’explosion. En temps réel, le spectateur n’aurait pas le temps d’entrer dans la couche la plus profonde de sa réflexion sur ce cycle. Aussi, le ralenti permet de faire voir une perception particulière, pas vraiment semblable à la perception humaine. Pour nous, c’était très important de créer un monde où la perspective de la caméra et donc par extension la perspective du spectateur, n’est pas clairement définie. Qu’on puisse se poser cette question, de la perspective dans laquelle nous regardons notre monde, était important pour nous.
Pourquoi vouliez-vous que Kaltes Tal ne soit que sons ? Et tous les sons sont-ils des sons réels ?
Nous étions plus intéressés par le fait de transmettre notre expérience au public, sans en faire une information rationnelle. Il n’y a pas grand chose à dire du chaulage de forêt, ou du puits de chaux. C’est plutôt des environnements bruyants et on voulait les sons d’ambiance de la machinerie pour construire une perception acoustique. Au début, on a essayé d’en dire plus de façon documentaire, et de manière plus objective finalement. Mais au fur et à mesure, le son est devenu de plus en plus comme un paysage d’ensemble et s’est transformé en cadre sonore en quelque sorte. C’est devenu une perspective intérieure. Alors c’est devenu important que l’image et le son soient en symbiose, créant ainsi une expérience globale, audiovisuelle.
Pourquoi ne vouliez-vous pas situer les lieux d’extraction de la chaux ? Vouliez-vous volontairement garder une part de mystère ou était-ce simplement un détail sans importance ?
Notre point de départ était de faire un film à l’atmosphère qui se voulait peut-être poétique, sans paroles mais qui nous emmène dans un voyage irrationnel. Après nous avions besoin d’une sorte de guide ou de ligne scénaristique pour tenir un cap précis. De l’autre côté, nous croyons qu’avec Internet, les commentaires et textes additionnels n’ont pas besoin de donner trop de détails, que si vous êtes intéressé par ce que vous voyez, vous allez trouver ces détails sur la route. Et pour nous, cela a plus de sens de poser une question que de tenir un argumentaire informatif.
A quel point êtes-vous intéressés par la question environnementale ? Avez-vous d’autres projets sur ce thème ?
Bien sûr que la question environnementale est centrale pour nous. Mais à l’image de notre approche audiovisuelle, nous avons voulu traiter ce thème de manière non conventionnelle. De nos jours, nous appelons naturel une apparence immaculée, ou « réelle » de la nature, alors que, majoritairement, elle est déjà travaillée par l’homme – la question autour du basculement Anthropocène est importante pour nous. Notre précédent film Still Life portait sur la question de comment nous regardons la Nature et de comment la Nature nous voit. Notre prochain projet traite encore des phénomènes naturels et de notre rapport ambivalent à la Nature.
Pensez-vous que les végétaux pourraient s’éteindre comme le tigre de Tasmanie et survivre à travers des peintures ou photographies ?
C’est une question très intéressante. Peut-être que la mémoire collective d’une entité définit sa présence, et comme les peintures et photographies ont la capacité de représenter les choses… mais elles sont en fait une représentation façonnée de l’objet, à leur manière, et ne sont pas elles-mêmes ce qu’elles représentent.
Si vous êtes déjà venus, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Nous ne sommes encore jamais venus au festival et cette année malheureusement, nous serons tous deux au travail pendant cette édition. C’est trop dommage ! Nous serions très heureux si c’est possible, de venir l’an prochain !
Pour voir Kaltes Tal, rendez-vous aux séances de la Compétition Labo L5.