Dîner avec Krzyżoki (Les cavaliers)
Entretien avec Anna Gawlita, réalisatrice de Krzyżoki (Les cavaliers)
Comment avez-vous eu connaissance de cette procession à cheval du dimanche de Pâques?
Parce que je suis née dans ce village où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 15 ans. Longtemps, je me suis rebellée contre cette coutume parce que je ne comprenais pas comment les participants pouvaient à la fois prier, boire de l’alcool et faire une course. Au fil des années, j’ai évolué et suis maintenant capable d’accepter que l’être humain est fait de contradictions. Qu’on peut associer amusement et spiritualité. J’ai aussi retrouvé mes racines, l’endroit où mon identité et mes valeurs se sont construites. Aujourd’hui, le village de mon enfance est devenu un village moderne avec des fermes industrielles où les chevaux ont été remplacés par des machines. Mais malgré tout, cette petite communauté essaie de maintenir cette tradition dont ils sont très fiers, même s’il faut emprunter des chevaux pour ça. C’est important pour eux, alors ça l’est pour moi.
Pourquoi avoir tourné ou traité l’image en noir et blanc ?
Au départ, ce n’était pas prévu. Puis ça s’est imposé comme une évidence du point de vue artistique. Je ne souhaitais pas que le film puisse être situé dans une époque particulière. Même si certains éléments peuvent laisser penser que l’action se déroule aujourd’hui, elle se déroulait exactement de la même manière il y a 10, 20, 50 ans en arrière. Et puis il y avait aussi des raisons techniques parce que le tournage s’est échelonné sur 4 ans ce qui a créé des contraintes : d’abord la nécessité d’utiliser des optiques et des caméras différentes, et puis le dimanche de pâques étant mobile, tantôt il se trouvait au début du printemps, tantôt à la fin, alors le noir et blanc nous a permis de pallier les différences d’intensité lumineuse et d’embarquer les spectateurs pour un voyage dans le temps.
Comment avez-vous réalisé la séquence des personnages en rotation ?
Tomasz Wolski, mon chef opérateur, est un vrai MacGyver ! Comme on avait un tout petit budget, nous avons utilisé ce qui était disponible sur place. Pour filmer l’ascension des héros, nous nous sommes servi de l’élévateur d’un tracteur. La séquence de rotation, elle, a été réalisée avec le manège de la cour du jardin d’enfants.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la séquence du bar ?
Cette séquence m’a permis d’illustrer la fascination que provoque en moi l’observation de l’ambivalence du sacré qui se mêle au profane. On observe l’aspect sacré dans cette tradition chrétienne avec ses chants religieux, ses prières et ce côté métaphysique que l’on peut atteindre en participant à un pèlerinage. Et de l’autre côté, la célébration du Dimanche de Pâques est aussi l’occasion de se rencontrer, de bavarder, de s’amuser. Et l’alcool est un élément indissociable de cette fête. Le choix de cadrer sur le verre d’un des personnages est destiné à renforcer l’aspect un peu sauvage que ça peut évoquer mais aussi le contraste avec la transe à laquelle peut mener la prière. Pour moi les deux niveaux ont la même importance et j’espère que la combinaison des deux témoigne de quelque chose de fascinant.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Cette liberté vient peut-être surtout dans la manière de raconter l’histoire. Depuis le départ, je sais que ce film n’aura pas de dialogue, qu’il sera proche des animaux et des hommes et centré sur le rituel. Mon but était d’agir sur l’aspect émotionnel et d’échapper au rationnel. Je pense que le format court permet de garder l’attention du public plus facilement. Mais surtout, comme je produis des documentaires et des longs métrages, c’est plus facile pour moi de trouver le temps pour faire un court plutôt qu’un long.
Pour voir Krzyżoki (Les cavaliers), rendez-vous aux séances de la competition labo L4.