Lunch avec La chair de ma chère
Entretien avec Calvin Antoine Blandin, réalisateur de La chair de ma chère
Dans La chair de ma chère, vos personnages parlent une langue que je n’ai pas comprise. Est-ce un langage qui existe ou avez-vous volontairement créé une distance en nous empêchant de comprendre leurs paroles ?
Dans La chair de ma chère, les personnages parlent une langue imaginaire, le but était de soutenir l’universalité du propos et aussi, en effet, créer une distance. Laisser les personnages hors d’atteinte, enfermés, dans leur monde.
Mais la raison principale reste acoustique, je n’entendais aucune langue parlée existante correspondre à l’univers. Le film ouvre une fenêtre sur la perception d’un enfant, éloignée du « réel », tout comme cette langue.
La chair de ma chère est basé sur le ressenti d’un enfant. Le film est particulièrement angoissant et nous rappelle forcément les angoisses excessives de l’enfance, ces pulsions de terreur qu’on a ressenties dans l’obscurité, dans le silence, dans l’interdit… Des émotions d’une grande puissance qu’on ne retrouve plus à l’âge adulte. Comment avez-vous travaillé, étiez-vous en contact avec des enfants pour rester ainsi connecté à cette « haute tension » ?
Aucune émotion ne demeure inaccessible, de l’enfance à la mort elles sont là, présentes, c’est nous qui ne savons parfois plus les voir.
Dans La chair de ma chère, les bruitages sonores sont très puissants et rendent le sentiment d’une présence. Avez-vous fait appel à un designer sonore ?
J’ai travaillé avec Denis Vautrin, que je remercie une énième fois et sans qui le film ne serait pas ce qu’il est. Le partenariat a été très enrichissant, et pas seulement pour le film.
Pensez-vous que le cerveau et la chair sont interdépendants ou pensez-vous qu’ils peuvent s’isoler l’un de l’autre ?
Il serait bien pratique de pouvoir séparer le cerveau du reste du corps, mais ça semble impossible pour l’instant, et je ne voudrais aucunement faire office de cobaye pour le revérifier. En revanche si vous parlez plutôt d’isoler l’esprit, la conscience ou quel que soit le nom, du corps « matériel », oui, je le pense. De nombreuses choses me poussent à y croire, y compris certaines expériences. Et il est intéressant de voir que c’est une croyance très répandue dans de nombreux courants de pensée. En tout cas, je sais que la « réalité » va bien plus loin que ce que mes sens ont déjà pu me montrer. Ça rend ce monde dénué de sens encore plus intéressant.
Tandis que sa mère semble toujours présente à ses côtés, bien que parfois oscillante, l’enfant semble traverser plusieurs phases dans sa relation à son père. Pensez-vous que l’éloignement psychologique puisse être plus douloureux que l’absence physique ?
Absolument, en particulier chez un être possédant moins de repères, comme un enfant.
Le deuil est un processus psychologiquement déstabilisant que le Docteur Elizabeth Kübler-Ross a défini en 5 phases : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation. Connaissiez-vous les travaux de cette psychologue ?
Non, mais ça parait très intéressant je devrais y jeter un œil. Cependant je ne pense pas que toutes ces phases apparaissent systématiquement dans le processus du deuil.
J’en suis même persuadé.
Comme tout parent, en faisant autorité, l’adulte tente de rétablir l’ordre des choses. Pour vous, l’encadrement que pense exercer l’adulte sur l’enfant est-il une réalité ou un fantasme ?
L’encadrement est dans cette configuration à la fois réalité et fantasme ; réalité, car c’est ce qu’il se passe, l’autorité qu’un parent se permet d’appliquer sur sa progéniture permet de poser des limites, ce « cadre » chéri, même si c’est parfois triste, peut être nécessaire, je n’ai pas de réponse. Mais fantasme grâce en partie au fameux « libre arbitre », l’homme est tel qu’il est, souvent surprenant. Et un cadre, ça se brise.
En revanche, se pose la question de « l’ordre des choses », et une fois de plus je n’ai pas LA réponse, car ma réponse est qu’il n’y en a pas, ni réponse ni ordre. Juste des choix à la limite.
La chair de ma chère est une production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Si je dois comparer, ce sera d’après ce que j’ai pu entendre, car je n’ai qu’un aperçu vague de ce qu’est la production à l’étranger. Apparemment la production française apporte avant tout des facilités de financements que tous les pays n’offrent pas. Mais dans un domaine comme le court métrage qui regroupe une multitude de façon de faire je crois qu’il est plus judicieux de traiter au cas par cas, tous pays confondus. Pour moi, c’est avant tout une question de rapport producteur/réalisateur. Et je ne doute pas qu’il y a de bons producteurs partout. Le truc, c’est de trouver celui qui nous correspond.
Pour voir La chair de ma chère, rendez-vous aux séances de la Compétition nationale F6.