Dernier verre avec La naissance du monstre
Interview de Ludovic Boukherma, co-réalisateur de La naissance du monstre
Pour quelles raisons avez-vous de l’intérêt ou des affinités avec la thématique du loup-garou ?
Le thème du loup-garou ou du monstre, qui sera aussi au cœur de notre prochain long métrage, nous intéresse puisqu’il nous offre la possibilité de parler de sujets actuels, à savoir l’endoctrinement et la radicalisation, et de le faire par le biais du cinéma de genre, que nous avions très envie d’explorer depuis quelques temps. Ainsi, l’idée de départ de La naissance du monstre était de raconter l’histoire d’une radicalisation, mais de le faire au second degré, à travers l’histoire d’une jeune fille qui se prend pour un loup-garou et finit par commettre l’irréparable.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de questionner des relations sociales apparemment paisibles (entre les trois personnages) ?
Je crois que nous voulions avant tout aborder le mal-être à l’adolescence. Il existe sous une multitude de formes et dans tous les milieux. Il y a évidemment toute la détresse liée à la misère sociale, qui est peut-être majoritaire quand il s’agit de radicalisation, mais la détresse a plusieurs formes et peut aussi survenir dans des milieux plus confortables, ses causes sont multifactorielles. Dans La naissance du monstre, les personnages paraissent « bien sous tous rapports » mais quand on creuse, on se rend compte qu’ils ne communiquent que de façon superficielle. L’ennui dans cette famille est tel que Flora se met à rêver d’autre chose, et en bonne « ado rebelle », elle se prend de fascination pour ce qui est à l’opposé du modèle qu’elle a chez elle, à savoir : la violence. C’est avant tout une histoire à l’échelle des personnages et nous ne faisons aucune généralité.
Pourquoi vouliez-vous aborder la période de l’adolescence ? Et le rapport au frère durant cette étape de la vie ?
L’adolescence, c’est le moment où l’on est à fleur de peau. Tout prend des proportions énormes dans la tête d’un ado. C’est donc, pour nous, l’âge charnière où les réactions disproportionnées se font. Flora s’emmerde et sa réaction, même si son cas est extrême, n’est ni plus ni moins que la réaction excessive d’une ado face à un problème. Pour cette raison, nous avons une certaine fascination pour l’esthétique de l’adolescence. Tout est plus grand, plus exacerbé, même ce qui est anodin. Pour ce qui est de la relation au frère, c’est une histoire de nostalgie : on voulait surtout explorer le côté un peu naïf d’une relation entre deux ados. Le frère de Flora est le personnage « gentil par essence » qui ne veut que du bien à sa sœur. C’est le genre de relation qu’on perd en vieillissant.
Comment avez-vous eu l’envie de travailler sur la question de l’ennui et sur le rapport entre ennui et attentes ?
Ce qui nous intéressait dans l’ennui, c’est que c’est pour Flora, un vide à combler. C’est parce qu’elle s’ennuie et qu’elle n’a aucune passion qu’elle sombre. Nous pensons que la radicalisation naît forcement d’une forme d’ennui. Quelqu’un qui a une vie bien remplie n’a tout simplement pas le temps de se radicaliser.
Dans La naissance du monstre, on ne voit pas le père de Flora et Teddy, où se trouve-t-il ?
On n’a pas besoin de savoir où il est. Le fait est qu’il n’est pas là. Cette absence suffit à elle seule à expliquer qu’il y a un vide dans la vie de Teddy et Flora. Tout l’intérêt est de justement ne pas chercher à l’expliquer. Parfois, le vide en dit plus qu’une explication détaillée.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Ce n’est pas tant le format court qui nous a apporté des libertés, mais plutôt la façon et l’économie dans laquelle nous avons fait le film. Nous n’avons pas voulu passer par la production classique, qui aurait voulu qu’on dépose des dossiers et qu’on soit tributaires de l’avis favorable ou non de commissions, ce qui très souvent prend plusieurs mois. Nous voulions expérimenter, tourner tout de suite et sans contrainte. Nous avons donc fait avec ce que nous avions sous la main. Nous étions en vacances chez des amis dans le Jura, nous avions donc un décor. Et nous avions aussi un téléphone qui filmait en 4k, un micro et quelques amis et membres de notre famille. On s’est donc dit : allons-y avec ce qu’on a sous la main. Nous avons écrit une trame et nous nous sommes mis à tourner sans pression, environ une heure par jour, sur une semaine. C’était un peu notre film de vacances, en fait. Nous n’avions pas d’équipe et tout le monde a un peu mis la main à la patte. On a l’impression qu’il est aujourd’hui très facile de faire des films à moindre coût : on a tous une caméra dans la poche, en fait, et il est très simple de faire le montage depuis chez soi. L’avantage de procéder de cette façon, c’est surtout de pouvoir aller vite. On est assez pressés de nature et c’est une méthode qui nous correspond bien. En plus, elle nous permet d’avoir une liberté totale sur le contenu. C’est quelque chose que nous voulons continuer à défendre et à expérimenter à l’avenir, en parallèle des projets produits plus « classiquement ».
Si vous êtes déjà venus, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Nous sommes venus à Clermont pour la première fois en 2015 avec nos courts métrages Perrault, La Fontaine mon Cul ! et Ich Bin Eine Tata, co-réalisés avec Hugo P. Thomas et Marielle Gautier. C’est difficile de se rappeler d’une anecdote en particulier. L’ensemble du Festival constitue une anecdote parce que c’est le premier de cette ampleur qu’on ait fait. C’était pour nous le festival (et l’année) de la découverte. Si on ne devait retenir qu’un seul moment, je dirais que le moment où Daniel Vannet, l’acteur non-professionnel qui jouait dans nos deux courts, a reçu le prix d’interprétation, était particulièrement chargé en émotion.
Pour voir La naissance du monstre, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F3.