Lunch avec la nuit des sacs plastiques
Interview de Gabriel Harel, réalisateur de La nuit des sacs plastiques
Comment vous est venue l’idée d’animer des sacs plastiques d’une vie propre ?
À cette époque, j’avais très envie de faire un film fantastique en animation, un peu horrifique avec un monstre, je cherchais ce monstre. L’idée m’est venue, après une conversation téléphonique avec ma grande sœur : elle était sur le Vieux-Port à Marseille, au bout du téléphone j’entendais les camionnettes de nettoyage des trottoirs et leur jet d’eau. Ma sœur me racontait qu’elle venait de rompre avec son copain, elle devait avoir 35 ans et n’avait pas d’enfant, alors je me suis mis à angoisser pour elle, l’horloge biologique avançait et cette histoire d’amour qui s’épuisait. Soudain elle a poussé un crie : « HAAAAAAARR !!! » Super inquiet j’entendais du bruit dans le téléphone, puis elle a repris le contrôle et m’a dit qu’elle venait de se faire agresser par un sac plastique qui avec le vent lui est arrivé en pleine face, tout mouillé de l’eau du trottoir. Voilà je compatissais avec ma sœur, mais je venais de trouver le monstre.
Pourquoi vouliez-vous les faire ressortir en touches de couleurs roses et bleues ?
C’est un choix que j’ai fait en visualisant la fin du film. Le film est en noir et blanc pour le monde des hommes et en couleur pour le monde plastique. Je voulais prendre le contre-pied du méchant monstre noir : les sacs plastiques sont les méchants pollueurs, mais ils ont de belles couleurs. Ils étouffent, dévorent, violent, mais ils ont des couleurs vives, des couleurs pop. Les sacs plastiques sont d’une légèreté et d’une solidité rare, ils volent, tournoient, nagent dans l’eau, ils ont une longue espérance de vie et sont colorés, ils sont beaux, ils sont une sorte de perfection de la “nature“. On ne sera sûrement plus là pour la voir, mais avec tout le recul que l’on peut prendre, peut-être que la prochaine ère des sacs plastiques sera radieuse. Ce n’est pas très clair et logique comme explication, mais je n’avais pas envie de faire une fin claire, logique et dramatique, je voulais élever le film au-dessus de nos problématiques de mortels, je voulais par le surréalisme proposer une fin plus poétique.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le désir d’enfant d’Agathe et sa démesure ?
Agathe désire un enfant alors que l’humanité est entrain mourir étouffée par sa propre création. Mais c’est le but essentiel de toute espèce vivante, de vouloir se reproduire à tout prix. Finalement elle est la seule à incarner l’espoir, le désir de vivre de se battre et de se reproduire. Son mec par exemple est plus défaitiste, bloqué dans un univers punk plutôt destructeur. J’ai entendue des femmes sans enfant qui, arrivant à 40 ans, étaient complètement obsédées par l’idée d’avoir un enfant, puis l’obsession passe avec l’âge, on peut se dire que c’est hormonal, vital. Agathe a cette obsession d’avoir un enfant, mais nous sommes un peu tous égoïstes face aux problèmes planétaires. Le bouton d’alerte d’urgence pour la planète est enclenché, pour Agathe l’urgence c’est avoir un enfant, d’autres voudront absolument acquérir un meilleur poste, le pouvoir ou une maison ou faire un film. Dans cette fiction fantastique et décalée, cette obsession est devenue un effet comique.
Comment avez-vous travaillé les décors ?
C’est Grégoire Carlé qui a réalisé les décors, il est auteur de bande-dessinée, mais aussi proche de la nature et c’est un excellent dessinateur et peintre de paysages. L’histoire se déroule dans les calanques à Marseille, plus précisément à la baie des singes, au cap Croisette et face à l’île Maïre, c’est un lieu qui m’a toujours fasciné et inspiré. C’est à la fois un lieu très cinématographique et le bout du monde, la route s’arrête, une vieille ligne électrique poursuit dans les rochers jusqu’à des cabanons au cap Croisette et il y a des bunkers qui évoquent la guerre, bref assez post-apocalyptiques, comme décors. J’ai fait beaucoup de repérages dans cette calanque, puis il y a eu le tournage avec les acteurs, nous avons tourné et joué les scènes en décors naturel, avec une petite équipe de cinéma. Donc Grégoire avait tous ces décors filmés et des photos de repérages en documentation. Ensuite il a travaillé à la manière d’un peintre, Il a dessiné et peint ces décors avec sa patte assez personnelle, il a mis du caractère, de l’expression dans ces paysages.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Oui, bien-sûr. Vu qu’en animation le long métrage doit s’inscrire dans un marché très restreint, c’est évident que je n’aurai pas pu proposer un tel film en long métrage. Le décalage du film, le côté un peu déviant, le noir et blanc, l’animation saccadée, déjà formellement, en animation, c’est délicat. Mais nous pouvons proposer des choses qu’il est difficile de proposer en long métrage.
La nuit des sacs plastiques a été sélectionné en compétition nationale (F5).