Goûter avec Lagi Senang Jaga Sekandang Lembu [Indomptables]
Entretien avec Amanda Nell Eu, réalisatrice de Lagi Senang Jaga Sekandang Lembu (Indomptables)
Comment vous est venue l’idée de faire un film sur ces deux adolescentes ?
Je voulais faire un film sur la Pontianak, une sorte de vampire féminin qui s’en prend exclusivement aux hommes, une créature très connue en Malaisie et en Indonésie. Dans mon pays, beaucoup de gens la craignent, mais moi je l’aime bien et j’ai un grand respect pour elle. Le cinéma malaisien regorge de films sur le sujet, mais je voulais le traiter sous un angle différent – et si c’était votre meilleure amie ? Imaginez toute la souffrance qu’elle a endurée, tout ce qu’elle a subi, sa colère, sa beauté, sa fragilité… Imaginez ce qu’elle ressent, elle.
À partir de là, j’ai puisé dans mes souvenirs de ma relation avec ma meilleure amie, et plus généralement dans cet amour que toutes les filles ont pour leurs meilleures amies, et dans le fait que, chacune à sa façon, toutes les adolescentes sont de petites Pontianaks.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette période de la puberté ?
Pour moi, la puberté est une étape d’une extraordinaire richesse que chacun doit traverser. C’est une transformation physique et émotionnelle au cours de laquelle on devient un être complètement différent. C’est un peu un film d’horreur, et pourtant, on l’accepte en disant qu’on « grandit ». Mais grandir, c’est aussi découvrir et explorer, et dans cette aventure, on peut vivre des choses très belles et des choses terrifiantes.
Pourquoi avoir choisi un milieu rural ?
D’après la légende, c’est en zone rurale que l’on trouve la Pontianak, dont l’esprit habite les bananiers (symbole phallique s’il en est !). Mais au-delà du mythe, je voulais montrer la jungle, la nature, la végétation pour incarner cette énergie sauvage et redoutable des deux adolescentes. La jungle est un lieu magnifique mais plein de dangers, elle représente parfaitement la Pontianak, et plus généralement toute jeune fille en phase de puberté !
D’après la légende, une Pontianak vient au monde lorsqu’une femme enceinte meurt. Une femme qui rencontre la mort alors qu’elle porte la vie… Y a-t-il meilleur décor pour cette histoire que la jungle, où la vie et la mort se côtoient comme deux complices ?
Pourquoi ne montrez-vous que deux maisons, en faisant abstraction des autres voisins ? Ces deux jeunes filles (et la petite sœur) sont-elles seules au monde ?
Je tenais à montrer exclusivement l’univers des deux jeunes filles ; lorsque des personnages secondaires font leur apparition, ils ne sont que des symboles, des accessoires. La petite sœur tient une place un peu plus importante, car c’est un monde qu’elle va elle aussi découvrir en grandissant.
Bien sûr, dans ce monde, il y aussi les autres filles, les parents, les garçons… Mais l’histoire se joue entre ces filles qui se découvrent mutuellement. À ce stade de leur existence, tout ce qui est extérieur à leur monde ne compte pas.
Dans quelle mesure les moments de silence sont-ils voulus ?
Les moments de silence sont voulus, ils sont inclus dans le scénario. À l’origine, nous n’avions que deux ou trois scènes dialoguées (nous en avons coupé une au montage). Quand on est attiré par quelqu’un, on ne sait en général pas trop quoi dire, tout se joue dans les regards, les effleurements volontaires ou non, les yeux qui se détournent, les petits cadeaux déposés en cachette…
Pourquoi ne pas montrer à l’écran ce que voit la jeune fille du haut de son arbre ?
Je ne peux pas savoir ce que voit une Pontianak qui regarde à l’horizon. Cherche-t-elle sa prochaine victime ? Pense-t-elle à son passé ? À sa haine, à sa colère ? Ou à celui qu’elle aime ? C’est une question que je me pose, je préfère donc – avec le spectateur – observer plutôt le visage de la créature.
À votre avis, le format court permet-il plus de libertés, plus de marge de manœuvre ?
Le format court permet sans aucun doute une plus grande liberté dans l’expression des émotions. On n’a pas forcément besoin d’avoir un début, un milieu et une fin, ni même une histoire. Voilà pourquoi j’adore les films courts. On nous fait vivre une sensation, et on n’en demande pas plus à un court métrage. Il n’y a plus de règles, et c’est ce qui en fait un format aussi fascinant. Regarder un court métrage, c’est toujours une surprise et un immense plaisir. J’espère continuer à en réaliser même quand je serai passée au long métrage.
Si vous êtes déjà venue à Clermont-Ferrand, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur le festival ? Sinon, quelles sont vos attentes pour cette édition ?
Ce sera ma première venue à Clermont-Ferrand, j’espère donc y voir plein de courts métrages. J’ai quelques amis qui vont présenter leur film aussi, et comme nous venons tous de pays différents, c’est l’occasion de se retrouver. Et de rencontrer de nouvelles personnes pendant le festival, bien entendu !
Lagi Senang Jaga Sekandang Lembu concourt en compétition Labo dans le programme L2.