Dîner avec Lake of Happiness (Le lac du bonheur)
Entretien avec Aliaksei Paluyan, réalisateur de Lake of Happiness (Le lac du bonheur)
Le personnage de Jasja s’inspire-t-il d’une petite fille ayant existé ?
Le personnage de Jasja s’inspire de l’histoire de mon père. Il avait sept ans quand sa mère est morte et mon grand-père a décidé de l’envoyer à l’orphelinat. Cette expérience traumatisante de son enfance a toujours été un sujet tabou pour mon père. Même s’il ne m’en a jamais parlé, je sais que c’est sujet difficile pour lui encore maintenant. Tout cela m’a amené à me poser la question : pourquoi des parents abandonnent-ils leurs enfants ? En tant que cinéaste, j’ai tenté de trouver une approche cinématographique à cette histoire personnelle. Pendant que j’effectuais mes recherches, on m’a offert un livre du célèbre écrivain biélorusse Viktor Martinovitch. Ce livre a été le déclic. Le jour-même, j’ai écrit une lettre à l’écrivain et lui ai confié que je travaillais sur une histoire très similaire et que je souhaitais le rencontrer. Nous nous sommes retrouvés et je lui ai dit que je voulais utiliser un épisode précis de son lire, l’analyser, en extraire l’essence profonde et en faire une nouvelle histoire qui s’inspirerait de la vie de mon père. Viktor Martinovitch a cru en moi. Il m’a donné son feu vert et les droits d’adaptation de son roman. Pour le scénario, j’ai imaginé un personnage fictif appelé Jasja. Elle vient d’un petit village biélorusse, comme mon père. Bien que ce soit un personnage fictif, il était très important pour moi que Jasja soit incarnée par une vraie orpheline (Nastyia Plyatz), qui est d’ailleurs présente au festival !
Est-il courant que les familles (pour des raisons économiques, j’imagine) placent leur enfant en orphelinat à la mort d’un des parents ?
Il y a 30-40 ans, c’était effectivement très courant en Biélorussie. À cette époque, c’était une question de survie. Aujourd’hui, beaucoup de veufs ou de veuves tentent de s’occuper seuls de leurs enfants. Mais il existe toujours des orphelinats publics qui assurent une vie et une éducation décentes pour les enfants dans le besoin.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le lieu du tournage ?
Nous avons tourné le film dans des villages très isolés et très typiques de l’ouest du Bélarus, où il n’y avait parfois même pas l’eau courante. Nous avons tourné dans quatre villages différents, dont Lybeiki, le lieu de naissance de ma grand-mère. Pour la maison de Jasja, nous avons choisi une maison traditionnelle en bois. Les scènes de l’orphelinat ont été tournées dans le bâtiment d’une ancienne école des années 1950 qui a fermé il y a trois ans. Il n’y avait pas de chauffage central et les acteurs et l’équipe se chauffaient grâce à des poêles à bois tout au long du tournage, qui a eu lieu à l’automne. Pour recréer l’ambiance des années 1990, notre directeur artistique a emprunté des lits dans un dortoir pour ouvriers, et a tapissé les murs avec du papier peint d’époque. Pour donner vie à cet orphelinat, j’ai travaillé avec une quarantaine d’élèves de deux écoles voisines. Les enfants ne voulaient jamais arrêter de tourner – ce qui a été sans doute l’aspect du tournage le plus extraordinaire pour moi.
Comment avez-vous choisi Jasja ?
J’ai commencé à chercher une fille pour jouer Jasja dès le début de la phase d’écriture du scénario. Avec mon assistante, nous nous sommes rendus dans de nombreux orphelinats du pays, et avons trouvé notre Jasja seulement deux mois avant le début du tournage. C’était le dernier jour de casting dans un village SOS de la ville de Moguilev. Nastja ne s’est pas démarquée en se mettant en avant, au contraire, elle était derrière, elle observait ce qui se passait, avec l’expression intense d’une adulte. C’était ce que je recherchais. Une petite fille blonde, presque rousse, aux tâches de rousseur, qui restait sur son quant-à-soi. Jamais autant que ce jour-là je n’avais jamais été aussi sûr de moi dans le choix d’un acteur.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Oui et non. D’un côté, quand on travaille avec le format court, on est libre de choisir ses thèmes et les formes à donner à ses idées. D’un autre côté, il faut raconter son histoire dans un laps de temps très limité, ce qui est parfois assez ardu.
Pour voir Lake of Happiness (Le lac du bonheur), rendez-vous aux séances du programme de la compétition internationale I6.