Goûter avec L’année du robot
Interview de Yves Gellie, réalisateur de L’année du robot
L’année du robot touche au rapport entre l’humain et la robotique, ainsi qu’à son introduction dans l’univers du soin. Pourquoi vous êtes-vous emparé de ce thème ?
C’est une longue histoire qui commence en 2007 où j’ai démarré un projet photographique sur l’espace de la recherche et les outils des chercheurs. L’espace « laboratoire » m’intéressait car c’est un espace récurrent dans la littérature et dans le cinéma qui exprime assez bien les aspirations du genre humain. J’avais comme inspiration le roman L’Ève future, de Villiers l’Isle-Adams, qui décrit l’avènement d’une créature artificielle dans un laboratoire à l’heure de l’électricité. Au cours d’un voyage de repérage au Japon, j’ai croisé le robot Kotaro à la Tokyo University. Rencontre décisive qui m’a amené à visiter les 50 laboratoires utilisant des plateformes humanoïdes dans le monde. Le succès de cette série de photographies m’a conduit à poursuivre ce travail sur les robots à travers des commandes comme, par exemple, la création d’une série de sept bas-relief de robots géants et hiératiques de quinze mètres de haut couvrant la façade de l’école des Beaux-Arts de Versailles ou une forêt d’affiches questionnant le devenir de ces machines artificielles et leur rapport à l’humain. Au cours d’un voyage en Afghanistan où je faisais une recherche sur les Sala, j’ai observé le phénomène de la dissonance cognitive chez les démineurs utilisant des robots. Certains démineurs se mettent eux-même en danger pour sauver leur robot bloqué dans une situation difficile. J’ai voulu approfondir cette vision fugitive observée chez ce soldat américain, la matérialiser sous forme d’images, explorer ce lien presque invisible et très étrange établi entre l’humain et la machine que je compare parfois à un souffle compliqué à capter. C’est un moment d’équilibre mystérieux et très personnel. J’ai alors suivi une résidence art/science dans un laboratoire français de recherche attaché aux robots sociaux sans y trouver vraiment ce que je cherchais. Le procédé était toujours le même. Le robot était placé face à des groupes de personnes, utilisé comme auxiliaire dans des workshops de musique, de poésie, de dessin. Les études portaient sur le robot, sur sa capacité à déclencher des interactions avec les humains. Mon approche était totalement différente, je voulais observer et capter le moment où un être humain décide de lui-même d’établir un relationnel avec cette machine, à quel moment et par quel artifice ce relationnel pouvait se mettre en place. Il se trouve que c’est dans le domaine de la santé, et plus précisément dans des hôpitaux ou institutions s’occupant de personnes âgées atteintes pour certaines de la maladie d’Alzheimer, que j’ai eu les moyens d’observer ce relationnel au quotidien.
Ce documentaire a-t-il pour objectif de servir de support aux multiples questions éthiques que pose son thème ?
Je ne considère pas ce film comme un documentaire mais comme un film qui explore une possible relation entre humains et robots. En commençant ce travail je n’avais vraiment aucune certitude d’aboutir à un quelconque résultat. Ce que je cherchais n’existait pas, on ne le trouvait que dans les films de science-fiction. Il m’a fallu près de trois ans pour entrevoir par instant et de façon fugitive l’ébauche de cette relation quasi intime. C’était vraiment « à la recherche du rayon vert », existe-t-il vraiment ? Ce film pose bien sûr une foule de questions, notamment dans le domaine éthique. Mais ce n’était pas mon intention de départ. Je voulais simplement capter ce désir relationnel tellement étrange, que j’avais moi-même éprouvé face à Kotaro, le robot japonais.
Diriez-vous que le film éclaire davantage le spectateur sur les émotions humaines, sur l’empathie, le rapport à la vieillesse, que sur la question de l’intelligence artificielle ?
C’est un film sur les humains, pas sur les robots. On me pose souvent des questions sur la performance que réalise le robot dans le film. Ma réponse est toujours la même. On a décidé que le robot était doté d’une intelligence capable d’échanger avec les humains. Cette capacité d’IA n’existe bien sûr pas aujourd’hui mais on en en avait besoin pour le film. On a donc fait en mesure avec mon assistant Maxime Jacobs qu’elle existe dans le film. Une fois ce problème résolu, on s’est focalisé à 100% sur l’être humain. Ce film explore le phénomène de la dissonance cognitive que j’avais observé́ en Afghanistan. Les interlocuteurs ont pleinement conscience que le fonctionnement du robot est totalement artificiel mais ils développent malgré tout une relation personnelle et intime avec la machine en présence de l’équipe qui la fait fonctionner. Tout ce qui découle de ces situations qui se succèdent parle bien sûr d’émotion, d’empathie, du rapport à la vieillesse. Ce film peut être observé sous de multiples facettes.
Avez-vous travaillé en amont avec les résidents âgés et les personnes autistes, ou les avez-vous simplement mis en présence du robot pour capturer leurs réactions spontanées ?
Le robot est entré très progressivement dans ces institutions bien que certaines l’avaient déjà. On a tout d’abord observé le quotidien des résidents, leurs habitudes, leur attitude dans les ateliers de psychomotricité ou autres. Le robot a été introduit progressivement dans leur quotidien tout d’abord sans interactions, puis par un relationnel avec les animatrices. Le but étant d’attendre le moment ou ces patients décident d’eux même d’établir ce relationnel. C’est la raison pour laquelle ce travail a pris tant de temps.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Quelqu’un m’a dit un jour en plaisantant, « ton film c’est le monde d’après 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick ». C’est en effet un parfum, la fragrance d’un relationnel futur avec ces machines ? Quoique je pense que c’est plutôt l’homme qui va s’augmenter plus que la machine humanoïde qui va progresser. L’homme est obsédé par sa finitude. Je n’ai pas vraiment d’œuvres de référence mais beaucoup d’auteurs comme le philosophe Jean Michel Besnier, le juriste Alain Bensoussan, l’anthropologue Denis Vidal ou les roboticiens Pierre-Yves Oudeyer, Jean-Paul Laumond ou Abderrahmane Kheddar qui m’ont beaucoup apporté par les échanges répétés que j’ai eus avec eux.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
Oui, dans la forme du film. Plans fixes, cadres larges, décors minimalistes, atmosphère cotonneuse, tendance à la monochromie. J’ai voulu le film sans interventions subjectives de plusieurs caméras, sans intention démonstrative. L’idée générale était celle d’un chercheur qui pose un caméscope dans un coin de son labo. Un tel parti pris correspondait bien à un court métrage.
Pour voir L’année du robot, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.