Dernier verre avec Last Days of the Man of Tomorrow
Entretien avec Fadi Baki, réalisateur de Last Days of the Man of Tomorrow
On a l’impression que Manivelle symbolise ou incarne certains éléments de l’histoire du Liban depuis son indépendance. Est-ce vrai ? Quelles étaient vos intentions avec le robot ?
D’une certaine manière, oui, le Nouvel Homme est un cadeau fait par la France à sa colonie afin qu’il devienne un symbole et un présage des choses à venir. Cependant, je ne voulais pas en faire une parabole purement symbolique, ou pire, une transposition de l’histoire du pays sur un robot. Au lieu de cela, j’étais intrigué par le poids de ce symbole, le poids d’une promesse d’un bel avenir et l’impact qu’il peut avoir sur un personnage.Chaque fois que je parle de Manivelle, je le décris comme un enfant star, né célèbre et luttant constamment avec le poids de cette « hyperréalité ». Bien sûr, un robot qui marche et qui parle est un miracle de technologie, mais je suis plus intéressé par la manière dont cela façonne ses actions, l’impact qu’elles ont sur ceux qui l’entourent et le coût de ce dernier. Sa nature robotique offrait donc une chance de voir comment un tel personnage porterait ce poids à perpétuité.
Comment avez-vous créé Manivelle ? Pouvez-vous nous parler du processus de tournage ?
En termes de narration, l’histoire de Manivelle a pris de nombreuses formes car j’ai passé plusieurs années à réécrire le scripte afin d’adapter les intentions initiales du personnage à un format court. Bien que l’essence de Manivelle soit restée la même, nous avons essayé différentes façons d’exprimer ce personnage en fonction de la partie de l’histoire dont nous disposions à la production.Ce processus était aussi difficile qu’intéressant. Façonner le film avec des événements historiques échantillonnéssignifiait que plus nous faisions de recherches, plus nous trouvions des éléments intéressants pour étayer l’histoire.
En termes de production, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Omar Khouri, le concepteur et l’illustrateur du film, afin d’utiliser la silhouette du robot comme illustration des différentes mentalités de chaque époque. Le Nouvel Homme se présente comme une merveille d’horlogerie du début du siècle, une vision orientale de ce à quoi devrait ressembler l’homme arabe selon les Français, et continue à changer tout au long de sa vie jusqu’à ce qu’il finisse comme un géant désordre accumulant réparations sur réparations.Manivelle devait être comme une tortue, portant sa vie sur son dos, son corps témoignant de ce qu’il avait fait durant son existence. Notre première idée en créant Manivelle pour le film a été d’utiliser des infographies, en prenant des photos avec un remplaçant puis en composant le robot comme un personnage 3D généré par ordinateur. Faire équipe avec l’incroyable atelier Chris Creatures nous a permis de créer le personnage de Manivelle de façon pratique en combinant l’animatronique grandeur nature, des marionnettes vintage et un mélange d’effets de synthèse. Cela voulait dire que Manivelle était présent sur le plateau et que les acteurs pouvaient directement interagir avec lui. Cela signifiait aussi que nous pouvions emmener Manivelle dans les rues de Beyrouth et obtenir des réactions naturelles de la part des gens, ce qui a fini par radicalement changer le format du film.
Quels obstacles (physiques, financiers, etc) avez-vous rencontrés ?
Tous. La réalisation du film a duré 4 ans et j’ai perdu la capacité de dormir à mi-parcours. Les ambitions du film dépassaient de loin la portée d’un court métrage car il nécessitait un tournage complexe avec un personnage principal gigantesque, des effets spéciaux compliqués, un accès à des documents d’archives onéreux et difficiles à nettoyer ainsi qu’un important travail de post-production. Après avoir convaincu tout le monde que nous pouvions le faire, je suis arrivé à l’étape de la post-production et j’ai perdu tout espoir. Faire fonctionner tous ces éléments ensemble était devenu une vraie difficulté pendant le montage et le script a dû être jeté et réécrit. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’impression d’avoir bêtement convaincu tout le monde que nous pouvions le faire, puis d’avoir fait couler le bateau. C’est grâce à la patience des producteurs et de notre formidable monteur, Zena Abul Hosn, que nous avons pu réorganiser ce que nous avions tourné et le réassembler en quelque chose de maléable.
Qu’espérez-vous que le public retire du film ?
C’était très intéressant de voir comment les publics d’origines différentes s’identifient au film, car il raconte une histoire très culturelle au Liban. Même si des références culturelles et plaisanteries échappent à certains, le cœur du film est une histoire très humaine, celle d’une amitié brisée. D’après moi, les défaillances humaines de Manivelle sont ce qui me ramène à lui quand je le regarde de nos jours, je vois un personnage qui a dépassé les mots sur le papier et m’a forcé à l’apprécier. Bien sûr, il y a quelque chose de très amusant dans le fait de ré-échantillonner l’histoire et de regarder un automate interagir avec des personnages de notre passé, mais j’espère que le public ressentira cet antagonisme sur la manière de percevoir ce personnage.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
D’une certaine manière, un court métrage n’a pas de limites car le public est plus indulgent avec le format court qu’avec le long. Ceci, conjugué à l’absence d’exigences commerciales, donne aux cinéastes la liberté de réaliser le film qu’ils ont en tête en portant moins d’attention à la manière dont il faudrait le commercialiser.
Bien que nous ayons été confrontés à la limite de temps d’un court métrage, réduisant la durée du film à une demi-heure, nous avons constaté que les spectateurs et les festivals (OK, pas tous) s’y prêtaient.Je ne pense pas qu’on puisse avoir ce type d’adaptabilité avec les longs métrages.
Last Days of the Man of Tomorrow a été projeté en compétition internationale.