Breakfast avec Le dernier des Céfrans
Entretien avec Pierre-Emmanuel Urcun, réalisateur de Le dernier des Céfrans
Pourquoi l’action du Dernier des Céfrans se passe-t-elle en banlieue ? Vos héros auraient-ils pu être issus de Paris ou d’une zone rurale ?
Le film se passe en banlieue car cela fait dix ans que je réside principalement en banlieue, je filme donc mon environnement proche mais le film aurait très bien pu se voir sous le prisme d’un contexte de certains arrondissements parisiens ou de zones péri-rurales, certaines articulations narratives auraient forcément évolué mais l’essence du film aurait été la même.
Dans Le dernier des Céfrans, vous jouez sur les caricatures. Vous présentez entre autres un appartement exceptionnellement « vieille France ». Comment avez-vous eu l’inspiration pour cet intérieur et comment l’avez-vous conçu ? Avec un décorateur ?
Bien sûr, cela a été le fruit d’un dialogue avec Julie Plumelle, la décoratrice du film, je souhaitais quelque chose qui puisse faire référence aussi à une certaine idée de la France, son histoire. La tapisserie murale renvoie à un côté vieillot pour définir le lieu où vit le comédien principal : un jeune qui vit chez sa vieille maman célibataire… Elle aussi éveille inconsciemment des faux airs de royauté à travers son côté chargé et ses motifs, une France bien plus lointaine…
Le dernier des Céfrans envisage donc de s’engager dans l’armée… le déroulement des « examens d’entrée » est plutôt cocasse ! Est-ce une séquence humoristique totalement imaginée ou êtes-vous, ou quelqu’un proche de vous, en rapprochement avec l’armée ?
C’est une scène totalement fantasmée. J’aime le cinéma des frères Coen et leur décalage du réel. Faire du cinéma, c’est aussi prendre la liberté de donner vie à un monde qui n’a pas cours. Après, j’aime partir du réel et le tordre légèrement pour faire vivre mes histoires. Par exemple, pour la scène des diapositives, si le contexte n’est pas celui d’un recrutement réel, le contenu des diapositives s’en inspire très fortement.
Dans votre film, vos personnages principaux ont tous des relations peu enviables avec les femmes. Aviez-vous déterminé à l’avance qu’aucun ne pouvait être épanoui dans sa vie personnelle ?
Non pas forcément, le point de départ de l’histoire c’est que l’ensemble des comédiens principaux subissent une journée peu enviable en soit. Sous les traits de la comédie et de la caricature, je souhaitais des personnages féminins forts qui les poussent à agir ou à prendre conscience des choses. Après, le moment de Rémi et Sonia, sa petite amie, est plutôt touchant, maladroit mais touchant. Pour ce qui est de Moussa, le séducteur, il finit par subir lors de cette journée ce qu’il fait endurer aux femmes d’ordre général…
Vos héros donnent l’impression de ne pas s’éclater non plus dans leur travail, qui leur apporte un salaire, mais visiblement peu de satisfaction. Avez-vous de la satisfaction dans le long processus et toutes les galères de la réalisation ?
Pour moi, le processus de genèse d’un film depuis le poste de réalisateur est très jouissif. Je prends beaucoup de plaisir à vivre chacune des étapes de fabrication de l’œuvre. C’est peut-être parce que je viens de la production qui, pour moi, est un milieu où tout est plus laborieux.
Quand on réalise, on vit avec l’idée du film, on la façonne pour lui donner vie, chaque étape est très plaisante. Après, c’est comme pour tout, il y a des hauts et des bas. Le doute est l’ingrédient essentiel qui se mêle au plaisir. Ensuite, je passe très vite à autre chose, j’aime me projeter directement dans le prochain projet ou autre chose qui n’a rien à voir car j’aime aussi prendre dès que je le peux mes distances avec le cinéma. Après le montage du Dernier des Céfrans, je suis parti deux mois au Brésil pour organiser des ateliers avec des jeunes, voyager et monter une expo photo…
Examen de recrutement pour vous ! Répondez à cette question : Quel engagement vous semble vital, quel autre est accessoire, parmi les suivants : Amical – Amoureux – Professionnel – National ?
Amical : vital
Amoureux : vital
Professionnel : accessoire
National : accessoire
Si vous me permettez une nuance, l’antagonisme que vous proposez entre vital et accessoire est un peu clivant, les choses sont toujours plus diverses et nuancées qu’elles n’y paraissent mais s’il fallait choisir… Je choisirais le terrain de la passion.
Pensez-vous que la voie des Services de Protection d’Etat (la police, l’armée) soit une ambition fréquente chez les jeunes d’aujourd’hui ?
Paradoxalement ces organes de l’état font partie de ceux qui proposent des offres de travail accessibles à des jeunes qui n’ont pas forcément eu la chance de suivre une scolarité diplômante ou la possibilité de découvrir d’autres perspectives d’avenir. Dans le film, je ne juge pas l’armée en soi, Rémi s’y rend pour trouver un travail. Je ne parlerais pas d’ambition mais d’opportunité quand on n’a pas d’autre horizon. Enfin, c’est ce qu’il a trouvé lui.
Le dernier des Céfrans est une production française. Diriez-vous que votre film est typiquement céfran ?
Forcément ! Dans le film tout le monde est céfran : personnages principaux, secondaires, mise en scène, finalement seule la musique est italienne (Vivaldi, mais elle renvoie encore une fois à l’histoire de France, la royauté, l’idée d’un pays qui a une très longue histoire…). Après, le plus signifiant pour moi, ce sont les dialogues. La langue est ce qui nous lie tous. L’épouser, jouer avec, prendre du plaisir à échanger, la faire évoluer, tout cela participe pleinement de notre identité française ou céfran. C’est une richesse que l’on doit préserver. Et les banlieues y participent pleinement.
Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
La production française donne la chance de s’exprimer, offre un terreau pour apprendre un métier qui nécessite à la fois des moyens et du temps pour se façonner. C’est une très grande chance que pouvoir rêver puis voir ce rêve se réaliser même si on n’a pas à l’origine les moyens économiques de réaliser ce rêve.
La diversité de forme est également un des atouts de la production de court métrage française.
Défendre la liberté d’expression aujourd’hui c’est aussi défendre les dispositifs institutionnels, économiques et sociaux mis en place en France pour donner la parole à ceux qui souhaitent exprimer leur vision du monde. La production française crée encore cet espace de liberté mais il est surtout légitimé par le public qui souhaite cette diversité et par les réseaux de diffusion comme les festivals qui se battent pour montrer ces court-métrages au plus grand nombre.
Pour voir Le dernier des Céfrans, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F9.