Breakfast avec Le Mans 1955
Entretien avec Quentin Bailleux, réalisateur de Le Mans 1955
On associe traditionnellement davantage l’animation à l’irréel, au fantastique. Narrer un événement historique de manière réaliste est de ce point de vue très intéressant. Aviez-vous à cœur de montrer que le court d’animation peut s’emparer de tous les sujets ?
Je vois l’animation avant tout comme un médium, une technique et non comme un style ou un genre. À partir de là, tous les types d’univers, de mise en scène, peuvent être associés à l’animation. J’ai choisi ce médium car c’est ce que je fais depuis 10 ans maintenant et que c’est, à mon avis, le meilleur outil pour réaliser mes idées, mes envies, qui seraient honnêtement parfois très difficiles à produire en prise de vue réelle. Aussi, je pense que l’animation possède des spécificités de langage, des codes propres à elle-même. Certains rythmes de montage, certains cadrages ou simplement le style graphique choisi par le réalisateur font que j’aime cette technique. Après, je ne milite pas pour une animation plus réaliste. J’ai choisi cette manière car c’est pour moi celle qui convenait au film et que ce ton réaliste un peu lyrique que l’on retrouve dans certains films classiques (Kazan, Preminger…) m’attire et m’a influencé pour Le Mans. Mais la voie du réalisme est le choix de ce projet. Si j’arrive à faire d’autres films, il se pourrait qu’ils soient moins ancrés dans le réel. Ce médium se doit de rester le plus ouvert possible, je pense. La seule chose que je pourrais déplorer, c’est qu’à un niveau très grand public, l’animation est vue comme un médium pour enfant. J’espère que les choses vont évoluer là-dessus.
Au regard du sujet traité, il est intéressant de constater que vous avez choisi de vous intéresser à l’intimité du récit, aux rapports entre les personnages, davantage qu’au spectaculaire qui est évacué. Pouvez-vous commenter ce choix ?
La première chose que j’ai pensée quand j’ai découvert la tragédie du Mans 1955, c’est « Comment ces pilotes ont-ils pu oser continuer à rouler après un drame pareil ? ». J’ai eu l’envie d’en faire un film et donc je me suis beaucoup documenté. Et je me suis mis à la place de ces pilotes. Je ne les excuse toujours pas aujourd’hui mais je pense un peu mieux comprendre comment un tel sport, une telle passion dévorante peut vous faire perdre pied et vous déconnecter des réalités, le temps d’une course. Et comme j’avais envie que le spectateur fasse le même chemin que moi, il fallait que le film soit du côté des pilotes, enfermés dans leurs stands, absorbés par la course et loin du drame qui se joue derrière les murs qui les séparent du public. Et pour être honnête, si j’avais fait le choix du spectaculaire, j’aurais dû représenter le moment insupportable où le public se fait faucher par l’explosion. Pour ceux qui connaissent bien le drame, c’est l’image que l’on retient le plus. Mais, et c’est personnel, j’ai beaucoup de mal avec l’idée de représenter l’horreur en animation, de la refabriquer. Cela ne me dérange pas dans certains autres films mais c’est plus difficile dans les miens.
L’animation des personnages est particulièrement subtile. Comment avez-vous travaillé pour que l’animation restitue leur humanité, leur passion ou leur orgueil d’une manière aussi précise ?
J’ai surtout eu beaucoup de chance ! J’ai été aidé par une équipe d’animateurs vraiment doués. Axel Digoix, Geoffrey Lerus, Paul Lavau, Daniel Quintero et Alice Dumoutier m’ont donné plus que ce que j’aurais pu imaginer. La seule chose que j’ai pu leur demander c’est d’en faire toujours moins. De moins appuyer tous les mouvements comme on a trop tendance à le faire en animation. De rester très subtils, voire immobiles, et parfois d’outrer le jeu du personnage au bon moment, quand la scène le demande. Je pense aussi que la mise en scène du film a aidé les animateurs à trouver l’humanité dans les scènes. Car nous avons, par le rythme du montage, des plans, laissé le temps aux personnages de ressentir, de passer d’une émotion à une autre. Je pense que c’est surtout visible dans la scène du tunnel. Aussi, comme j’ai un design assez minimaliste, assez froid, j’ai toujours eu en tête de donner beaucoup d’humanité dans l’animation des personnages du film. Et c’est après beaucoup de recherches, en dessin, en 3D, que nous sommes arrivés à un résultat qui marche bien je pense. Et aujourd’hui je suis rassuré car c’est l’aspect de mon travail que j’avais le moins exploré jusqu’ici.
Le projet mêle techniques 2D et 3D. Pouvez-vous nous en dire plus sur la réalisation technique du film ?
Le film est à 90% fabriqué en 3D. Nous avons utilisé la 2D pour quelques personnages secondaires et pour les effets (feu, fumée…). Je viens de la 2D mais la 3D m’intéresse car j’ai l’impression qu’il y a plein de choses encore à découvrir de cet outil. Et puis elle permet une plus grande liberté de mise en scène que la 2D. Ce qui nous a permis de tester plusieurs façons de filmer une même scène, avec d’autres cadres, un nouveau découpage… J’ai travaillé là-dessus avec un studio appelé « Les androïds associés », qui sont habitués à faire de la prévisualisation 3D sur des films en prise de vue réelle, pour des scènes complexes. C’est aussi ce qui donne au film sa patte réaliste. Pour la partie technique, la 3D est utilisée ici de façon assez rudimentaire. Tous les éléments (personnages, décors…) sont texturés sur Photoshop, sans ajouts de lumière 3D. Tout est peint « à la main ». Toutes les lumières. Donc, quand un personnage passe d’une atmosphère à une autre, une nouvelle texture doit être peinte. C’est laborieux mais c’est ce qui donne au film son style graphique.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
La liberté de faire le moins de compromis possibles sauf peut-être, le plus difficile, celui du temps court à respecter !
Le Mans 1955 a été sélectionné en compétition nationale (F1).