Dîner avec Leftover
Entretien avec Tibor Bànòczki et Sarolta Szabo, réalisateurs de Leftover
Leftover brosse plusieurs portraits, chacun ayant un rapport avec la nourriture. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir ce thème ?
Leftover est un court métrage d’animation et de fiction inspiré d’histoires vécues qui tournent autour de l’idée de manger seul. « Manger » est parmi les termes les plus fondamentaux de notre vie, mais comme les humains ont évolué différemment des animaux, ce n’est pas resté uniquement une fonction vitale. Pour beaucoup, le fait de se nourrir est devenu source de plaisir, ainsi qu’un moment de vie sociale. On le retrouve dans toutes les fêtes et tous les événements clés de notre vie. En général, on l’associe à la joie, mais on peut aussi partager un repas lors d’un deuil. Notre inspiration principale vient de nos familles, dont beaucoup de membres se sont retrouvés à vivre seuls. L’idée de raconter des vies autour du thème « manger seul » nous intéressait vraiment. Avec ces courtes histoires, nous voulions montrer différents problèmes personnels et sociaux que les hommes rencontrent de nos jours – la solitude, la vieillesse, les troubles du comportement alimentaire, la peur d’être exclus.
Pourquoi avoir choisi de montrer ces tableaux d’une façon non-linéaire ?
Notre but était de réaliser un essai sur ce thème dans plusieurs endroits de la Terre. Nous avons relié six histoires apparemment sans rapport entre elles. Nous avons trouvé la forme finale du film au bout d’une longue période d’expérimentation. Nous voulions créer un court métrage à l’univers poétique et fortement cinématographique.
Chaque portrait parle d’un processus profondément humain. Comment avez-vous abordé ces différents processus et par où avez-vous commencé dans l’écriture du film ?
Chacune de ces histoires provient de nos recherches, effectuées au fil des années. Certaines se sont produites dans notre entourage, d’autres sont très personnelles, d’autres encore viennent de discussions avec des gens rencontrés lors de nos séjours dans différents pays. Nous savions que ces histoires très humaines, racontées à travers le prisme extraordinaire du cinéma d’animation, pouvaient nous en apprendre long sur nous-mêmes.
Nous sommes en présence de six portraits. Trois hommes, trois femmes, cette parité est-elle volontaire ?
Des histoires, nous en avions encore plus sous le coude, mais nous avons choisi les plus pertinentes. En phase d’écriture et au fil de la réalisation, nous voulions montrer des personnages différents du point de vue du sexe, de l’âge, de l’origine, du métier et des situations personnelles. On voulait aussi avoir des personnages féminins très forts qui sont confrontés à ces problèmes. Les films d’animation manquent souvent de femmes, comme bien des domaines du monde du cinéma, malheureusement.
Votre travail d’animation nous transporte dans des univers variés. Avez-vous volontairement choisi des espaces de silence ? Comment travaillez-vous ces animations ?
Tous les personnages vivent en marge de la société. Pour chaque histoire, nous avons choisi un cadre qui souligne l’isolement social, économique et géographique. Certaines saynètes sont tragiques, d’autres contiennent des éléments drôles et fantastiques. Parfois, on tombe dans le surréalisme, ce qui fait de l’animation le support idéal pour montrer le côté sombre et absurde de la réalité. Ce qui est génial avec l’animation, c’est qu’on peut « filmer » n’importe où dans le monde : au fin fond de la jungle, en haut d’un gratte-ciel en plein orage, ou en prison dans les couloirs de la mort. Cela ne pose aucun problème pratique, et permet une liberté incroyable d’un point de vue narratif.
Dans le dernier portrait, vous montrez le côté social du repas – un moment où les membres de la famille partagent l’espace et les aliments. Est-ce une explication ou une ouverture sur un nouvel horizon ?
Oui, la dernière scène du film est une sorte d’épilogue qui reprend le thème dans son ensemble. Dans un jardin, un déjeuner a été interrompu par un orage. Tous les convives ont quitté la table, laissant dessus tout ce qu’il y avait à manger et à boire. Où sont passés ces gens ? On ne sait pas. Est-ce qu’ils vont revenir ? On ne sait pas. Une fois les gens partis, peut-être que la nature va reprendre ses droits.
Leftover est une production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Cette tradition et cet amour du court métrage se retrouvent rarement dans d’autres pays. Les courts sont souvent dans l’ombre des longs, et nombreux sont ceux qui les considèrent comme un tremplin qui mène au long métrage. Pour nous, le court métrage est un genre artistique à part entière et heureusement, la France et le cinéma français pensent comme nous.
Pour voir Leftover, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F9.
+ d’infos Leftover en tournée dans les festivals (2015) :
TAMPERE Film Festival, Finlande – Compétition internationale
STUTTGART International Festival of Animated Film, Allemagne – Compétition international
ANIMA Festival international du film d’animation de Bruxelles – Compétition internationale
GO SHORT International Short Film Festival, Pays-Bas – Compétition internationale