Goûter avec Les animaux domestiques
Interview de Jean Lecointre, réalisateur de Les animaux domestiques
Comment vous est venue l’inspiration pour Les animaux domestiques ?
Enfant, au début des années 70, je me suis passionné pour une collection de livres intitulée La Vie Privée des Animaux. Il s’agissait d’une traduction d’ouvrages italiens remarquablement bien illustrés. Chaque double page nous présentait un animal, dans tous ses états. Pour Les animaux domestiques, je me suis inspiré du volume 1 : Les animaux de la maison et du jardin. J’ai d’abord conçu l’histoire des Animaux Domestiques pour un livre paru en 2008 aux Éditions Thierry Magnier. J’avais dès le départ l’intention de l’adapter en animation, j’ai travaillé la narration graphique comme un storyboard. Ce qui devait d’abord se présenter comme un ouvrage encyclopédique fantaisiste, a doucement évolué vers la comédie, et plus précisément le vaudeville.
Avez-vous une affection particulière pour l’un des animaux présentés ?
Je ressens des affinités avec tous ces animaux : Je peux être stupidement et injustement victime de mon obéissance, comme le Chien, indolent et orgueilleux comme le Chat, mettre les pieds dans le plat comme la Mouche, ou encore, comme le Papillon qui n’a qu’un jour à vivre, rechercher le plaisir immédiat. C’est peut-être le Crapaud et son le détachement « à-quoi-bonniste » que j’affectionne le plus. Comme lui, j’aimerais parfois pouvoir hiberner pendant six mois.
Quelles techniques avez-vous utilisées pour créer l’animation ?
Je crée des images à partir de documents photographiques que je scanne dans de vieux magazines, et que j’assemble et colorise numériquement. Je remets ensuite ces images à un animateur, qui utilise une technique proche de celle de l’animation de papiers découpés, avec les avantages et la souplesse d’un logiciel très performant. Pour l’animation des Animaux domestiques j’ai eu la chance de travailler au départ avec l’animateur François Leroy, qui est aussi, avec Stéphanie Lansaque, réalisateur d’incroyables courts métrages animés (Café froid était en compétition nationale à Clermont-Fd en 2016, voir leur interview, ndlr). C’est lui qui a défini les bases techniques d’animations utilisées pour donner vie aux personnages. Le film lui doit énormément.
Comment avez-vous travaillé le fait de faire entendre la logique inhérente à chaque espèce et de donner à voir la réalité des comportements biologiques de ces différents animaux ?
J’ai bien sûr consulté mon livre sur Les animaux de la maison et du jardin, pour la vulgarisation scientifique de leurs particularités. Je me suis ensuite appliqué à les mettre en miroir avec nos convenances, avec ce qu’on pouvait, ou ne pouvait pas faire en société. Bien sûr, j’ai sélectionné les comportements les plus opposés à la bienséance, pour obtenir les réactions les plus catastrophiques. Par l’aspect photographique et anthropomorphe des animaux, je voulais retrouver cette sensation délicieusement angoissante que j’avais, enfant, devant la série Babar. Elle était interprétée par de vrais comédiens déguisés. Tout était faux et vrai à la fois. J’étais très troublé, terrifié et fasciné.
Avez-vous une affection particulière pour l’humour britannique et quelles seraient vos références en la matière ? Aimez-vous Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde ?
J’ai beaucoup aimé la série anglaise The IT Crowd que j’ai découverte cette année. Bien sûr, la référence inusable en matière d’humour britannique reste les Monty Python. Mais si mes images peuvent graphiquement se rapprocher des visuels animés de Terri Gilliam, ma véritable influence pour Les Animaux Domestiques serait Mon oncle de Jacques Tati, et surtout Luis Buñuel. J’aime son regard impitoyable d’entomologiste sur notre société, où le sexe et l’absurde se dissimulent et s’exhibent de façon totalement inattendue. Des films comme Le fantôme de liberté dans lequel il inverse les convenances, ou Le Charme discret de la Bourgeoisie m’ont beaucoup stimulé, et sa biographie aussi. Le vicomte Charles de Noailles et son épouse Marie-Laure, furent les mécènes de Buñuel et de beaucoup d’autres artistes surréalistes. Ce couple mondain, organisant des réceptions dans leur villa moderne de Hyères, a servi de modèle au couple des Archibald. Le financement et la présentation du film L’âge d’or de Bunuel, provoqua un tel scandale, que le Vicomte et sa femme perdirent une grande partie de leurs « amis ». On peut toutefois relativiser la gravité de cette perte en les imaginant continuer de faire la fête en compagnie de Buñuel, Man Ray, Jean Cocteau, Max Ernst et beaucoup d’autres créateurs avant-gardistes de l’époque. C’est un peu comme ça que j’imaginais les Archibald, qui s’amusent finalement avec les Animaux et leurs singularités. Je n’ai pas vraiment d’opinion sur Le portrait de Dorian Gray, j’en connais l’histoire mais je ne l’ai pas lu. J’en ai vu une adaptation cinématographique il y a pas mal de temps et n’en garde pratiquement aucun souvenirs… et à vrai dire, je ne vois pas la relation avec le Animaux Domestiques, pouvez-vous me dire à quoi vous pensiez ?
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le balancement entre comportements humains des animaux et comportements irraisonnés des humains ?
L’anthropomorphisme des animaux les rend forcément humains et les réactions des humains sont souvent impulsives et « bestiales ». Quand Madame Archibald se met en colère contre le Chien après le vol de leur voiture, je voulais qu’elle devienne aussi agressive qu’un pitbull, alors qu’on s’apitoierait sur l’injuste sort du Chien obéissant, qui s’éloigne en grommelant, les mains dans les poches.
Qu’est-ce qui vous intéressait aussi dans le moment des soirées mondaines et de la confrontation des excentricités admises dans l’intimité aux regards des autres ?
Par cette confrontation, je veux bien sûr de créer une réaction, suivie d’une explosion, mais avec un peu de recul, je m’aperçois que je m’intéresse plus précisément aux sentiments de honte, et à ses conséquences, comme l’exclusion ou le snobisme, qui donne l’illusion de se protéger. Cet intérêt, pas vraiment conscient quand j’ai écrit l’histoire des Animaux domestiques, devient plus évident et récurrent, alors que je suis en phase d’adaptation à l’écran de mon livre À la Mode. L’action de ce dernier se déroule dans un royaume isolé, tourmenté par la peur de ne plus être à la Mode, et dont les habitants vivent dans la crainte d’un monstre abominable : le Ridicule.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Ce n’est pas tout à fait un film de cette année, mais le dernier film que je me souvienne avoir beaucoup aimé est Casa Grande de Fellipe Barbosa. On m’a aussi fait découvrir récemment le court métrage C’était le chien d’Eddy de Bertrand Mandico (et Olivier Babinet, membre du jury national 2017, ndlr), un réalisateur que je ne connaissais pas. Son film m’a donné très envie de découvrir son travail.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je viens au Festival de Clermont -Ferrand. J’en attends bien sûr des découvertes, mais aussi des rencontres avec les projets qui pourraient en résulter.
Pour voir Les animaux domestiques, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.