Light is Calling / Intruments : rétrospective Etats-Unis
« That one is predetermined. That one, it finds another. This one comes in one window ; Sliding out the other / Celui-ci est décidé d’avance. Celui-ci en trouve un autre. Celui-là passe par une fenêtre ; et ressort par l’autre. » Sur ces mots commence Instrument, avant-dernier morceau de In On The Kill Taker, troisième album de Fugazi. Un cri, sinon un chant. Chant de la colère d’avoir connu les flammes. Chant du poids de la perte. Et puis le larsen, la force de sortir de la tourmente. La force d’en découdre, dans le calme abrasif de l’instant. Plus prophétique que jamais, ce même souffle traverse les courts métrages américains de ces douze dernières années.
Darling Darling de Matthew Lessner (Etats-Unis – 2005)
Douze années de traumatismes, post 9/11, post guerres et lois antiterroristes, post Katrina, post subprimes… Douze années de marasmes, de doute et de réflexion, avec, au bout du compte, la capacité à digérer, à se relever de tout, sans chercher jamais à en édulcorer les causes et les conséquences. Comme un enfant se réveille d’un cauchemar et réclame une histoire dans Pioneer de David Lowery, subtilement conté par Will Oldham alias Bonnie Prince Billy. Comme l’énergie rock de la Bitch enragée, parce qu’amoureuse, de Lilah Vandenburgh. Une envie de cinéma, plus grande que tout, venue d’un pays à l’échelle d’un continent et qui, de tout temps, a su influencer toutes les autres. Une étincelle éternelle qui prouve, si besoin était, que les Etats-Unis ne sont pas qu’une contrée pour GI Joe et autres Avengers.
RIP Rich de Yoram Savion (Etats-Unis – 2009)
Douze années pendant lesquelles se sont également brouillées encore un peu plus les frontières de la création cinématographique entre format court, télévision et sacro-saint Hollywood. Les courts métrages ou les séries assumant pleinement leur rôle précurseur de viviers de talents, de terrains de jeux visuels et scénaristiques. Un terreau fertile où des passerelles se tendent entre les genres. Future star de Juno, Michael Cera affiche déjà une candide maladresse face à un cheval pantomime (!), père de sa fiancée dans Darling Darling de Matthew Lessner en 2005. Après avoir arpenté les rues de Baltimore pour The Wire, série télévisuelle créée par David Simon, J.D. Williams se voit acculé à la violence du désespoir dans The Second Line. Comme le fera plus tard Treme, autre série du même David Simon, le film de John Magary scanne, dès 2007, le pouls d’une Nouvelle-Orléans dévastée, pleine de bicoques à vider, mais qui entend bien survivre aux décombres. Affinités de thèmes, de castings mais aussi d’enjeux économiques ; la chaîne HBO allant jusqu’à produire elle-même, contre une certaine frilosité institutionnelle, Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh. Affinités propices qui permettent à des auteurs tels que Bill Morrison, Keith Bearden, Jonathan Caouette ou David Russo de porter en long métrage les expérimentations formelles et les questionnements narratifs, bref le grain de « cinéma-folie », dont témoignent leurs essais courts.
The Marina Experiment de Marina Lutz (Etats-Unis – 2009)
Héritiers d’une longue tradition, ces nouveaux explorateurs du septième art font feu de tout bois. Cela vise dans toutes les directions, navigue de l’expérimental à la comédie, de l’aveu intimiste à la série noire, du clip chorégraphique au portrait désabusé d’une jeunesse en pilote automatique… Cela marche souvent sur des chemins étranges, de la plage de Barton Fink aux sommets enneigés de Twin Peaks, pour ainsi dire. Avec un regard tour à tour lucide, ironique, polémique, poétique… « We need an instrument – to take a measurement. To find out if loss could weigh / Il nous faut un instrument – un instrument de mesure. Pour évaluer l’impact de la perte » chantait donc Fugazi en 1993. Fugazi, toujours sublimement accompagné par les images de Jem Cohen. Un instrument pour prendre la mesure. Mesurer, arpenter. Dans leur diversité, les quarante-et-un courts métrages de cette rétrospective américaine sont en un sens cela, un instrument de mesure. Fenêtre ouverte sur un état des lieux, un état du temps. La perte a un poids. Construire alors, se reconstruire. Mélange d’humilité et de fierté. Une volonté presque frondeuse de créer. Un esprit pionnier.
Xavier Fayet