Breakfast avec Lion in Helsinki
Entretien avec Robert Ly, réalisateur de Lion in Helsinki
Pourquoi l’action de votre film se passe-t-elle en Finlande ? Avez-vous un attachement particulier à ce pays ?
En fait, il s’agit de mon quatrième court métrage en Finlande. Le premier a déjà été sélectionné en compétition nationale à Clermont-Ferrand en 2012 (City of Silence (Ville du silence), ndlr.) et le tournage de celui-ci m’a permis de rencontrer une des actrices les plus talentueuses avec qui j’ai pu travailler (Milla Piiroinen, elle joue d’ailleurs le rôle de la plus jeune des cousines dans Lion in Helsinki). J’ai aussi visité le nord du pays et la Laponie durant l’été, où les journées sans nuits créent une atmosphère très particulière et une couleur intéressante à filmer. La droiture et le côté très propre des Finlandais me fait aussi beaucoup rire. Bref, c’est un pays où je trouve assez facilement l’inspiration. J’y retournerai filmer bientôt je pense.
Comment avez-vous eu l’idée de créer un couple aussi singulier ?
Ces derniers temps j’ai essayé de travailler le montage parallèle, en essayant de parler de deux personnages en même temps sans forcément en choisir un comme personnage principal. Pour ce film, je voulais juste créer deux personnes qui s’acharnent à imposer leur point de vue. Et je connaissais déjà les deux acteurs avant le tournage, je savais vers quel personnage les amener pour les rendre intéressants. Notamment Hannaleena qui est très drôle quand elle part dans la folie ou quand elle s’énerve.
Dans Lion in Helsinki, vous questionnez le rapport à l’étranger. Avez-vous déjà voyagé ? Aimez-vous aller à la rencontre de l’autre ?
Vivre en France en étant issu de parents immigrés est déjà un voyage en soi. Le film au final, même s’il se passe en Finlande, n’est que ma réponse face à cette affirmation absurde « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ». Désolé, mais les choses ne sont pas si simples. Imaginez que votre boss vous dise « Ton boulot, tu l’aimes ou tu le quittes ». Si les gens prenaient cette phrase à la lettre, ce serait une catastrophe économique sans précédent. L’anarchie dans les rues, l’anarchie à Pôle Emploi. Bref, il faut être un peu imbécile pour adhérer à cette phrase et y croire. Mais sinon ces dernières années, j’ai beaucoup voyagé en Europe, principalement pour y faire des court métrages sur des temps de tournage/montage très réduits, suivis dans la foulée par une projection avec la population locale. C’est avec ces voyages que j’ai commencé à approfondir ma réalisation en essayant d’aller plus loin que ce que j’ai appris à l’école.
Toutes les femmes rencontrées dans votre film ont du caractère et n’hésitent pas à s’imposer. Revendiquez-vous ce modèle de femme ? Et à quelles émotions ou quels enjeux rattachez-vous ce modèle ?
De manière générale, j’essaye d’éviter le stéréotype de la femme faible et sensible, et de l’homme fort et viril, à part pour faire de la comédie « grossière », ou pour appuyer un propos lié à cela. Beaucoup de mes personnages peuvent être homme ou femme, sans que cela ne change grand chose. Par exemple, la plus « forte » des cousines du personnage principal devait être à la base un oncle. J’ai changé cela la veille du tournage parce que j’avais sous la main cette actrice que je connaissais déjà et avec qui cela m’amusait de tourner.
Vos personnages se laissent complètement porter par leurs fantaisies personnelles et paraissent désinhibés comme des enfants. Avez-vous une fascination pour l’enfance, sa spontanéité, son besoin de socialisation, son exigence de transfiguration par le jeu, etc. ?
Le thème de l’enfance et de l’enfant est récurrent chez moi. Je crois me souvenir d’un prof d’analyse filmique qui répétait que toutes les histoires parlent d’un enfant qui cherche à devenir adulte. Et puis mon humour est beaucoup attaché à l’innocence, l’inconscience, l’absence de logique (ou l’excès de logique) qu’ont beaucoup les enfants. Je pense aussi avoir l’air assez jeune – en tout cas, beaucoup plus jeune que mon âge – et je joue parfois sur le fait qu’on ne me prenne pas vraiment pour un adulte dans certains cas.
Dans Lion in Helsinki, la relation amoureuse commence par des efforts pour pouvoir exister puis se poursuit par d’autres efforts pour pouvoir durer. Pensez-vous que les relations humaines ne peuvent exister sans effort ? Et dans le travail de réalisation ?
En fait, la relation amoureuse m’intéresse peu dans Lion in Helsinki. Pour moi, l’héroïne n’est pas vraiment amoureuse du héros, mais elle s’en persuade, car elle est à la recherche de quelqu’un qui puisse rester un peu avec elle. Il s’agit plus de relation tout court dans ce cas-là. Chaque personnage essaye de faire un petit effort pour comprendre l’autre – avec ou sans succès. C’est un peu drôle pour moi de comparer cela au travail de réalisation. On peut dire qu’apprendre à faire des efforts est une étape obligatoire pour vivre en société et pour l’accomplir en tant qu’être humain. En passant par cette étape, on finit par avoir plus de chose à raconter – et du coup à améliorer sa réalisation.
Lion in Helsinki a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
La production française n’a rien à apporter aux autres. Pour moi, il est devenu prétentieux de dire que la production française apporte des choses que les autres n’ont pas, car la plupart des films français sont pour moi une catastrophe. Je trouve ça incroyable que, d’une certaine manière, on force les jeunes réalisateurs à croire que l’on est chanceux de vivre avec ce cinéma là, avec ce système de subvention là. On nous répète que l’on est des privilégiés. Pour moi, c’est faux. Peut-être qu’on a accès à plus d’argent que d’autres pays. Peut-être qu’il est plus facile de faire un film en France. Peut-être qu’on a droit à plus d’aides. Mais de l’aide pour quoi ? Pour faire toujours les mêmes films chiants qui passeront sans risque à la télé ? Oui, je sais, le cinéma est une industrie. Oui, les films « sans risques » existeront toujours et seront toujours ceux qui seront mis à la une. Mais quand même, où est la minorité de films indépendants, géniaux, audacieux, insolents ? Avec notre système français, il devrait y avoir 10%, 15%, 20% de films comme ça. Mais j’ai plutôt l’impression qu’ils représentent 1% du cinéma Français. Voire moins. Comment peut-on être fiers de ça ?
Et c’est encore plus énervant dans le domaine du court métrage. Comment peut-on nous demander de faire des courts métrages qui fassent « en moyenne 12 minutes, parce que ça passe mieux à la télé ». « Les histoires de couples, c’est ce qui se vend le plus ». « Fais un sujet sur l’actualité, il y a moins de risques ». « Choisis ce thème-là, ça passera mieux à la télé ». Sérieusement, les émissions de court métrages passent à minuit, voire plus tard. Si on n’ose même pas prendre des risques pour ces tranches horaires là, qu’est ce qu’on devient ? Le pire, c’est que ces conseils me proviennent de distributeurs, de producteurs. Voire même de réalisateurs. En parlant directement avec le peu de diffuseurs que j’ai pu rencontrer, leur discours est plus celui de passionnés que de « je veux vendre du coca entre deux courts métrages ».
Je pense sincèrement qu’aujourd’hui, d’un point de vue artistique, la production française apporte plus de mal que de bien.
Pour voir Lion in Helsinki, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F11.