Goûter avec Love He Said (L’Amour dit-il)
Entretien avec Inès Sedan, réalisatrice de Love He Said (L’Amour dit-il)
À quel point appréciez-vous Charles Bukowski et comment avez-vous eu connaissance de cette intervention publique ?
J’ai fait la connaissance de cette intervention publique de Bukowski presque par hasard, j’étais en train de travailler sur un autre projet de dessin animé pendant que j’écoutais Tom Waits sur YouTube, et soudain la lecture automatique me balance sur cet audio incroyable de Bukowski. J’ai arrêté tout de suite ce que j’étais en train de faire et je me suis immergée dans l’ambiance de cet enregistrement. Les images sur son poème Loveme venaient les unes après les autres et à la fin de cette lecture, dans ma tête, j’ai vu Bukowski pleurer, c’est à ce moment précis que j’ai décidé de faire un film sur cet enregistrement. Je me suis acheté un livre avec tous ses poèmes, j’ai lu et relu ses romans, je voulais comprendre qui était cet écrivain punk et vulgaire. Bukowski a été un homme qui a donné tout pour sa création, un battant, un homme qui, malgré tout, croyait en l’amour et, après deux ans de travail sur ce court métrage, je peux dire que Bukowski est devenu mon meilleur ami, comme Bowie ou Frida Kahlo, ces artistes qui nous aident à traverser des moments difficiles.De temps en temps, je lis son poème (mon poème préféré de Bukowski) The Genius of the Crowd, et ça me donne le courage de continuer avec ma folie, ma vie.
La voix que l’on entend est bien l’enregistrement original ? Est-il complet ou l’avez-vous remodelé ?
Oui, c’est l’enregistrement original complet, on n’a même pas nettoyé le son au moment du mixage pour garder intacte la voix de Bukowski et préserver ce côté trash, un peu sale. La seule partie ajoutée à l’enregistrement sonore original, c’est celle où il pleure : dans l’audio original il ne pleure pas, j’ai voulu matérialiser l’image que j’ai eue dans ma tête quand j’ai écouté l’audio la première fois.
Avez-vous utilisé des images réelles comme base pour la séquence animée de lecture en public ?
Les images de la lecture de Bukowski sont réelles, mais je n’ai pas fait une rotoscopie [technique cinématographique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation, ndlr]standard. Les images d’archives auxquelles j’ai eu accès étaient d’unetrès mauvaise qualité, filmées à l’époque avec une caméra 16mm et complètement abîmées après avec un transfert à VHS pour la télévision (en 1973, ça date). Donc j’ai fait un mix avec quelques photos de Bukowski fixes et les images d’archives : j’ai fait d’abord une animation cut out sur After Effects, puis j’ai dessiné sur les images, le visage, les mains, le corps de Bukowski et j’ai peint par-dessus, image par image, avec le logiciel TVPaint pour recréer visuellement cette lecture. Il n’existe pas d’images réelles de ce moment précis de sa lecture, j’ai dû prendre d’autres archives et animer aussi le visage de Bukowski pour accompagner le mouvement de bouche, le lip syncavec l’audio. Rien n’est réel dans l’animation !
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport entre vin et sexualité ?
Je dirais plutôt le rapport entre la sexualité et la bouteille. Dans un de ses poèmes, Bukowski fait une ode à la bière, à la petite bouteille de bière qui, à la différence des femmes qu’il fréquentait, était toujours là, fidèle, à son côté. Je me suis inspiré de ça : une bouteille peut être à la fois une femme et le sexe d’un homme, je joue avec ça dans la partie onirique de mon court métrage, où la bouteille se transforme en sextoyunisexe, remplie d’un liquide magique qui fait oublier les chagrins d’amour.
Êtes-vous intéressée par la thématique de la vulnérabilité que chacun porte en lui et envisagez-vous de réaliser d’autres films autour de cette question ?
Plus que la thématique de la vulnérabilité, je dirais que je suis intéressée par la nécessité urgente qu’a chaque individu d’être aimé, même un homme rude et vulgaire comme Bukowski. Oui, absolument, je travaille actuellement sur une autre idée de court métrage sur une femme qui perd la tête dans la recherche de son âme sœur, à partir d’une histoire vraie écoutée à la radio !
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Oui, je sens qu’avec le format court, on est complètement libre, surtout dans les courts métrages d’animation, du moins dans la façon dont je travaille. Pour moi, c’est comme écrire de la poésie mais avec des images.
Pour voir Love He Said (L’Amour dit-il), rendez-vous aux séances de la compétition labo L4.